Pas une minute de répit. Le coach n’est pas du genre à dorloter ses joueuses. «Défonce-toi, Apolline !», «Fais marcher ton cerveau !», «On n’est pas à l’école, on ne lève pas la main !»…, s’époumone Dylan Greneche sur le gazon. Des nuages coriaces réfrigèrent le stade Léo-Lagrange. Il bruine sur Vincennes, les footeuses s’en foutent. Elles sont une vingtaine d’adolescentes de 15 ans à perfectionner leurs passes, chaque mercredi, au Club Olympique Vincennois : ça dribble, ça accélère, ça tire. «Tu m’as bousillé les doigts !», grimace la gardienne fan des Bleues et fleur bleue, qui arbore un «Love» imprimé sur son pull.
À l’âge où les copines enfilaient leur justaucorps pailleté – parce qu’une fille, ça aime le rose girly -, elles chaussaient leurs premiers crampons. Cheryl, Elsa ou Amel arborent le maillot floqué «Mbappé» et vénèrent Wendie Renard. Une bimbo de la téléréalité ? La défenseure de l’Olympique lyonnais. Lou tape dans le ballon depuis qu’elle est gamine. Son père, Sébastien, business analyst, la récupère après l’entraînement à Vincennes. Quand Lou lui a annoncé qu’elle préférait le penalty au tutu, il s’est senti fier. «Je jouais tout le temps au foot avec Lou petite. Je lui achetais des tenues», raconte-t-il. Lou, elle, se dit «fière» d’une victoire arrachée 1-0 lors d’un tournoi mixte. «Les garçons ont été tellement dégoûtés de perdre face à nous que deux joueurs en sont venus aux mains !», confie cette jolie brune à queue-de-cheval. Père et fille regardent les matchs de l’équipe de France – masculine ou féminine – et le PSG en Ligue des champions. Un moment privilégié, même s’il leur arrive de se chamailler : Sébastien soutient l’OL ; Lou, le PSG. «C’est drôle de ne pas être d’accord sur une action, une faute, sourit-il. Chacun essaie de convaincre l’autre !»
160.000 licenciées dans la Fédération française de football
Cantonnées à sauter à la corde dans les cours de récré, les filles, enhardies par le sacre des Bleus en Russie l’an dernier, taclent les stéréotypes : à peine 60.000 en 2012, elles sont aujourd’hui environ 160.000 licenciées. C’est peu face au bastion de la virilité (2 millions de licenciés), mais le Mondial féminin, organisé en France du 7 juin au 7 juillet et diffusé sur TF1, Canal + et TMC, devrait booster les vocations. «Le sport dans l’enfance fait partie de la construction identitaire. On conditionne les garçons et les filles à de prétendus goûts innés : les premiers préféreraient les sports de contact ; les secondes, les sports esthétiques tels que la danse, souligne la politologue Marie-Cécile Naves, vice-présidente du think tank Sport et Citoyenneté. S’écarter de sa discipline hétéronormée a longtemps été perçu comme une transgression de genre entraînant le soupçon de manque de féminité (garçon manqué) ou celui d’homosexualité.»
Le tournant s’est opéré en 2011. L’accession des Françaises à une demi-finale du Mondial contre l’Allemagne et l’élection de Noël Le Graët à la tête de la Fédération française de football (FFF) chambardent les mentalités. Le plan Ambition 2020 de la FFF vise à atteindre, d’ici à un an, 200.000 licenciées, 1 500 écoles féminines (905 aujourd’hui) et 8 000 éducatrices (1 300 actuellement). Tricherie, hooliganisme, salaires astronomiques…, les excès chez les messieurs popularisent le fair-play des dames, qui ne se roulent pas sur le gazon au moindre bobo. Consécration : les Bleues de Corinne Diacre ont leur album Panini dédié ! «Les clubs se préparent à un afflux», confirme Dylan Greneche, qui a propulsé des espoirs masculins en Ligue 1 avant de rejoindre l’école féminine de Vincennes. Un choix qu’il ne regrette pas : «Les garçons visent la performance individuelle, tandis que les filles jouent collectif comme une bande de copines. Elles assimilent les consignes à une vitesse impressionnante.»