L’attaquante Alex Morgan, auteure d’une célébration de but remarquée face à l’Angleterre, est une véritable star dans son pays, où médias et sponsors se l’arrachent.
C’est une célébration qui restera dans l’histoire de la Coupe du Monde. En demi-finale, face à l’Angleterre, l’attaquante américaine Alex Morgan a innové au moment de fêter son but. Après avoir parcouru quelques mètres, les bras levés, la Californienne s’est brusquement arrêtée… pour feindre de boire une tasse de thé. « On est en quelque sorte sur une scène, donc je crois que je me vois comme une interprète et que j’essaye de divertir, a expliqué après la rencontre la joueuse, buteuse le jour de son trentième anniversaire. C’est une pose amusante et on cherche toujours les bonnes célébrations donc je crois que celle-là a bien collé. »
Plus de 100 buts marqués en sélection
Les Américains ont adoré ce chambrage envers leurs adversaires du jour, y voyant même un lointain écho à un épisode de leur lutte pour l’indépendance quand, en 1773, des habitants de Boston avaient jeté par-dessus bord des caisses de thé arrivant de Londres. Les Anglais, évidemment, ont beaucoup moins apprécié.
Cette célébration a en tout cas remis en lumière Alex Morgan, superstar du foot féminin dont la Coupe du Monde avait jusqu’alors été un peu éclipsée par celle de sa coéquipière Megan Rapinoe, auteure de deux doublés en huitième puis en quart, face aux Bleues.
Fidèle à sa réputation, la joueuse d’Orlando avait frappé fort dès l’entrée en lice des Etats-Unis dans ce Mondial, face à la Thaïlande (13-0), en marquant un quintuplé – et en délivrant trois passes décisives. Une flopée de buts qui, pensait-on, en annonçait beaucoup d’autres. Sauf que la machine à buts s’est quelque peu enrayée par la suite. Alex Morgan est restée muette lors des matchs suivants, jusqu’à son but décisif face à l’Angleterre. Une disette toute relative, mais étonnante, au regard des statistiques habituelles de la joueuse, véritable poison pour toutes les défenses.
Alex Morgan, qui a officié quelques mois à Lyon en 2017, affole en effet depuis des années les compteurs. Championne olympique en 2012, championne du monde en 2015, elle fait partie du cercle très fermé des joueuses ayant inscrit plus de 100 buts en sélection (elle en est très exactement à 106). Sa précocité et sa vitesse lui ont valu, à ses débuts, l’étonnant surnom de « Baby Horse ».
Alex Morgan, chouchou des médias et des sponsors
Ses performances sur le terrain ne suffisent pas, néanmoins, à prendre la mesure de l’aura qui l’entoure. Alors que nombre de footballeuses, en Europe, évoluent encore dans un quasi-anonymat, Alex Morgan est dans son pays une icône qui attire en nombre médias et sponsors : Nike, Panasonic, McDonalds, Coca-Cola, Uber… Les plus grandes marques en ont fait leur égérie de l’autre côté de l’Atlantique. Elle est même devenue, en 2016, la toute première femme à être mise en couverture du célèbre jeu vidéo de football « Fifa ». Autant de contrats qui lui assurent de confortables revenus – ils devraient dépasser, selon des médias américains, 1 million de dollars en 2019 (certaines sources évoquent même le chiffre de 3 millions).
Cet attrait des plus grandes marques mondiales ne doit évidemment rien au hasard. Toutes espèrent profiter de l’incroyable popularité de la numéro 13 de la Team USA, qui comptabilise plus de 7 millions d’abonnés sur Instagram, et 3,7 millions sur Twitter, soit bien plus que toute autre joueuse de football.
Car Alex Morgan a tout pour plaire au plus grand nombre. « Elle est souriante, à l’aise avec les médias, bien élevée, elle défend des valeurs de détermination et de travail qui collent parfaitement avec l’imaginaire culturel qui sous-tend le “rêve américain”», souligne Peter Marquis, enseignant chercheur à l’université de Rouen et spécialiste de l’histoire des sports aux Etats-Unis. « Elle bénéficie aux Etats-Unis de l’image de la “girl next door”, cool et sympa. Elle parle à tout le monde », résume de son côté Marie-Cécile Naves, directrice des études au sein du think tank Sport et Citoyenneté et de l’observatoire « Genre et géopolitique » de l’Iris.
Cette énorme popularité, Peter Marquis l’explique aussi par un autre élément, fondamental :
« Si Alex Morgan plaît autant aux médias, aux sponsors et aux Américains, c’est aussi parce que son image publique est conforme aux normes sociales qui définissent le féminin : souriante, svelte, sexy mais pudique, blanche et surtout hétérosexuelle. Son mariage avec un sportif peut rassurer, à l’heure où les revendications pour un salaire paritaire sont portées par Abby Wambach ou Megan Rapinoe, toutes deux homosexuelles. »
« Nous, les sportives, nous devons faire plus »
Faut-il, alors, réduire Alex Morgan à un simple produit marketing ? Une telle image serait réductrice. Comme Megan Rapinoe, l’« America’s Darling » a récemment endossé plusieurs combats politiques et sociétaux.
Co-capitaine de la sélection, elle est l’une des porte-parole de son équipe, qui a attaqué sa propre fédération en justice pour « discrimination », afin d’obtenir l’égalité des salaires et des conditions de travail avec l’équipe masculine des Etats-Unis. Car, malgré de bien meilleurs résultats, les membres de l’équipe nationale féminine demeurent moins payées que leurs homologues masculins.
Un engagement salué par le magazine « Time », qui l’a désignée en avril comme l’une des 100 personnalités les plus influentes, avant de lui consacrer sa une, juste avant le Mondial 2019, barrée du titre « The Equalizer » (« la joueuse qui égalise »), en écho à son combat pour l’égalité entre femmes et hommes. « Nous, les sportives, nous devons faire plus et montrer l’exemple aux futures générations », y explique la Californienne.
« Est-ce que les [hommes] sportifs le font ? Est-ce qu’ils pensent à quelque chose d’autre qu’eux-mêmes ? Je ne sais pas. Ce que je sais c’est qu’on fait plus qu’eux et on est payées moins. »
Cet engagement en faveur de la cause féministe est ancien, indique Marie-Cécile Naves, qui rappelle que la joueuse a lancé, il y a quelques années, « Kicks, une collection de livres à destination des petites filles, promouvant l’empowerment féminin ». Véritables best-sellers, ces livres ont même été portés à l’écran par Amazon.
Elle ne veut pas rencontrer Trump
Avec le combat pour l’égalité femmes-hommes, et un certain goût pour les célébrations de buts iconoclastes, Alex Morgan partage par ailleurs un autre point commun avec sa coéquipière Megan Rapinoe, dont les propos acerbes contre Donald Trump ont beaucoup été commentés au cours du Mondial : une même aversion pour la politique menée par l’actuel résident de la Maison-Blanche.
Avant même le début de la compétition, elle aussi a prévenu qu’elle n’irait pas le visiter en cas de titre de championne du monde, le 7 juillet. « Je ne suis pas favorable à beaucoup de choses que le gouvernement actuel défend », a-t-elle justifié dans « Time », ciblant notamment la lutte contre l’immigration illégale. Un entretien dans lequel l’attaquante, qui a grandi à Diamond Bar, dans la banlieue de Los Angeles, s’élève contre ceux qui aimeraient que les athlètes de haut niveau se taisent et qu’ils ne se cantonnent qu’à jouer :
« Il y a un discours qu’on a entendu des centaines de fois à propos des sportifs qui est : “Limitez-vous au sport !” Mais on est bien plus que ça, OK ? »
Si son engagement, notamment en faveur de l’égalité femmes-hommes, est indiscutable, Peter Marquis nuance toutefois sa portée politique : « Alex Morgan prend position, mais elle embrasse des causes relativement consensuelles, dans le sens où elles ne vont pas à l’encontre des valeurs dominantes américaines et ne menacent ni son image modèle de belle-fille idéale, ni ses contrats publicitaires. »