Spécial Coupe du monde de football

Invitée du 8.30 Politique de France Info, le 29/06/19

Le 29 juin 2019, j’étais l’invitée du « 8.30 politique » de France Info, en compagnie de la consultante Nadia Benmokhtar, pour parler de la Coupe du monde de football 2019. Une émission présentée et animée par les journalistes Matteu Maestracci et Myriam Encaoua.

« Rendre visible la discipline, montrer des femmes épanouies, qui ont du caractère, c’est un pari gagné », estime Nadia Benmokhtar, ancienne footballeuse et consultante de franceinfo pendant le Mondial, au lendemain de la défaite en quarts de finale des Bleues, battues 2 à 1 vendredi 29 juin par les États-Unis.

franceinfo : Vous avez digéré cette défaite ?

Nadia Benmokhtar : Encore un petit peu choquée. Même si on avait annoncé que cette équipe américaine était favorite, c’est une défaite qui fait mal, dans le sens où encore une fois, ça ne passe pas très loin. L’équipe de France ne se fait pas complètement écraser, il n’a pas manqué grand-chose. Il leur a manqué les 10 premières minutes, où on a vu une équipe américaine mettre beaucoup d’intensité et de rythme, ce qui a amené à une ouverture du score très rapide. Ensuite, l’équipe de France a plutôt bien joué, a relevé la tête. Malheureusement, ça n’a pas suffi. C’est frustrant pour les joueuses de sentir qu’on n’est pas très loin, mais que la pièce ne tombe pas du bon côté. C’était un match très équilibré, très intense. C’est difficile de dire que ce n’est pas mérité, d’un côté ou de l’autre. À la limite, un match nul ou des prolongations auraient davantage reflété la physionomie du match.

Pour vous, le soccer féminin américain reste une référence ?

Nadia Benmokhtar : Ça l’a longtemps été. Il faut avoir en tête que la moitié des licenciées du monde jouent aux États-Unis. En France, il y a 200 000 licenciées. Juste en Californie, il y en a 250 000. Donc, pour rivaliser avec une telle nation en terme de nombre, ça montre aussi que la formation à la française permet quand même de sortir des joueuses de très haut niveau, sur une base qui est beaucoup plus légère.

Les Américaines dominent le football féminin mondial depuis des années. C’est le fruit d’une culture et de tout un système mis en place depuis longtemps ?

Marie-Cécile Naves : Oui, un système qui n’a rien à voir avec le modèle économique, sociétal et éducatif français, puisque c’est dans les universités américaines que le soccer s’est développé depuis les années 1970, et qui a véritablement connu un essor dans les années 1980 par la loi. C’est un amendement de 1972 au Civil Right Act, qui permet de lutter contre les discriminations femmes-hommes dans les compétitions sportives et dans le fait que toutes les universités, financées au moins en partie sur fonds fédéral, doivent donner les mêmes moyens financiers aux sports féminins et aux sports masculins. Donc, ça a permis le développement du soccer pour les filles dans les universités. Et il fallait qu’elles se trouvent des sports un peu distinctifs des garçons, qui étaient déjà ultra dominants, et où les universités n’avaient pas envie de partager le gâteau : le football américain, le baseball… Donc c’est une niche au départ, qui permet, quand on est bonne, d’obtenir des bourses, d’aller à l’université, donc c’est un système complètement différent du nôtre.

Quelles différences entre le football féminin en France et aux États-Unis ?

Nadia Benmokhtar : Au niveau sportif, le soccer américain est un peu différent. C’est un football beaucoup plus athlétique. Ce sont des athlètes à qui on apprend à jouer au football, contrairement à l’Europe… Ce sont de vraies techniciennes et joueuses de football qu’on va ensuite entraîner physiquement. Ce sont des cultures différentes. Économiquement, on a aux États-Unis un modèle beaucoup plus vertueux, plus homogène. On a vu des Américaines qui viennent jouer en France, parce qu’il y a quelques clubs qui sur-payent, qui jouent le jeu, mais ça tient quelques individualités, comme Jean-Michel Aulas à Lyon ou le Paris Saint-Germain, qui ont décidé d’investir sur cette discipline. Alors qu’aux États-Unis, on a un modèle qui est beaucoup plus cohérent en termes de revenus et de coûts, et qui permet d’avoir une homogénéité dans le championnat. Aux États-Unis, le coût moyen par an, c’est 3 000 euros pour jouer au foot. Ensuite, il faut payer les arbitres, les déplacements… Donc c’est un modèle économique qui coûte très cher aux familles, entre 8 et 9 000 euros par an. Alors quand on leur raconte qu’en France, une licence de foot, c’est 150 ou 200 euros l’année, ça les surprend.

Marie-Cécile Naves : La limite plus importante que je verrais, c’est que cela reste un sport très inégal sur le plan socio-économique. Ils recrutent beaucoup dans les universités, qui sont encore très largement fermées aux minorités ethniques, hormis les Asiatiques mais elles ne s’engagent pas dans le soccer. Par ailleurs, quand on est enfant et que l’on veut pratiquer le soccer dans un club, c’est très cher. C’est ce que l’on appelle le « pay to play », c’est un système économique qui n’a rien à voir avec la Fédération française de football, qui est délégatrice d’une mission de service public. Il y a donc au départ une inégalité socio-économique qui est de plus en plus contestée, et qui, peut-être, si elle était levée, permettrait d’avoir une équipe encore meilleure. Ça permettrait d’aller recruter dans des communautés, chez des enfants qui pourraient faire élever le niveau de jeu.

Les Américaines utilisent leur notoriété pour faire passer des messages…

Pour comparer les Françaises et les Américaines, elles n’en sont pas au même niveau de notoriété. Tous ces plafonds d’engouement, d’exposition médiatique, les Américaines les ont déjà dépassés depuis longtemps. Ce sont déjà des superstars, et en plus, ce sont des joueuses de caractère. Elles utilisent leur notoriété pour revendiquer des choses. J’admire beaucoup Megan Rapinoe. J’ai eu la chance de jouer contre elle, quand elle jouait à Lyon, c’est une super joueuse. Au-delà de tous ses engagements, son caractère, elle est hyper sympathique, et c’est pour cela qu’elle a vraiment un capital médiatique hyper intéressant.

Quel bilan peut-on déjà tirer de cette Coupe du monde ?

C’est encore difficile d’évaluer l’impact de cette Coupe du monde. En revanche, ce qui est sûr, c’est qu’elle aura servi la démocratisation de la discipline. Douze millions de téléspectateurs, c’est du jamais vu. Quand j’ai commencé le foot, quand j’étais une petite fille, on me disait « Ah bon, ça existe ? ». Aujourd’hui, pour tous les enfants, dans toutes les classes, dans toutes les écoles françaises, le football existe aussi pour les filles. De rendre visible la discipline, de montrer des femmes épanouies, qui jouent au foot, qui ont du caractère, qui sont bien dans leur peau, c’est un pari qui est gagné.

Nadia Benmokhtar était invitée de franceinfo ce samedi matin, en compagnie de Marie-Cécile Naves, auteure de « Le sport outil d’émancipation des filles et des femme à travers le monde ».


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