Primaire démocrate : Joe Biden, le favori qui arrange les affaires de Donald Trump

Interview pour "Le Parisien", le 4 août 2019

Interview publiée le 4 août 2019 sur les primaires démocrates et l’avance de Joe Biden. Propos recueillis parPierre Garrigues.

« Passez le flambeau! » Cette injonction, martelée par le représentant de la Californie Eric Swalwell lors du deuxième débat des candidats à la primaire démocrate, jeudi soir, sonne comme un avertissement aux oreilles de Joe Biden. À 76 ans, l’ex-vice président est presque le doyen des vingt candidats (juste derrière le sénateur du Vermont Bernie Sanders et ses 77 bougies), et fait figure de favori, avec 32,2 % des intentions de vote.

Surtout, il affiche une longévité politique impressionnante : plus de quarante ans passés à Washington, depuis son élection en 1973 au poste de sénateur du Delaware à l’investiture de Donald Trump en janvier 2017, après huit ans à la Maison-Blanche comme vice-président de Barack Obama.

Joe Biden fait partie cet « establishment », l’ordre établi honni, qui serait pour certains la principale cause de la victoire de Trump en 2016. C’était même l’un des arguments de campagne de l’ancien magnat de l’immobilier: lui au moins ne sortait pas du même sérail que les caciques de la capitale, incarnés par Hillary Clinton… et Joe Biden.

Un CV très politique

« Si Biden est, pour le moment, favori, c’est parce qu’il incarne le moindre risque, explique Marie-Cécile Naves, autrice de Géopolitique des Etats-Unis (Eyrolles, 2018) et chercheuse à l’Iris. C’est un choix de raison pour les Démocrates. Il n’est pas leur candidat préféré : c’est celui qu’ils considèrent le plus à même de battre Trump. »

Joe Biden risque donc de souffrir du sentiment antisystème qui persiste dans l’électorat républicain… comme démocrate. Marie-Cécile Naves l’a compris en observant les résultats des élections législatives de 2018 : « Les Démocrates ont élu de nouveaux visages, et les Républicains ont exprimé leur soutien à Trump, qu’ils considèrent toujours comme le candidat anti-establishment. »

Le CV très politique de Biden pourrait-il, s’il est investi par son camp l’été prochain, lui coûter la victoire face au président milliardaire en novembre 2020, alors que les sondages le donnent pour l’instant vainqueur ? « C’est en tout cas l’un des axes sur lesquels va l’attaquer Trump », présage Marie-Cécile Naves.

Quelques casseroles pour « Sleepy Joe »

D’autant que ce curriculum fourni présente son lot de casseroles : son opposition en tant que sénateur au « busing », le recours au transport pour favoriser la mixité raciale au sein des établissements scolaires; son soutien à la politique d’incarcération de masse de Bill Clinton, qui a touché plus particulièrement les Afro-Américains; ou, encore très récemment, ses gestes déplacés dénoncés par plusieurs femmes, dans la foulée du mouvement MeToo. Cette semaine, il a ainsi suscité la polémique en traitant sa jeune rivale, la sénatrice Kamala Harris, de « petite » (« kid »).

Pourtant, les sondages le placent toujours devant Trump, en cas de second tour opposant les deux septuagénaires lors des présidentielles de 2020. Joe Biden joue de ces chiffres, et veut représenter le choix du pragmatisme dans un camp démocrate divisé, face aux candidats les plus à gauche — notamment Bernie Sanders, ou Kamala Harris, la sénatrice de Californie.

Sa pole position lui a valu d’être la cible de sorties hargneuses de Donald Trump, qui le surnomme « Sleepy Joe » (Joe l’endormi) ou encore « One-Percent Joe » (Joe 1 %), en référence à ses déboires politiques : l’ex vice-président s’est déjà présenté à deux reprises aux primaires démocrates par le passé sans grand succès. La troisième fois pourrait être la bonne : grâce à sa personnalité chaleureuse et des origines modestes qui lui assurent une belle cote chez les ouvriers, il pourrait échapper au destin d’Hillary Clinton.

(Photo : AFP/Getty Images/Scott Olson)