« Trump donne de la voix aux suprémacistes blancs et légitime leur passage à l’acte »

Interview pour "L'Obs", le 6 août 2019

Interview pour « L’Obs », le 6 août 2019, sur l’attitude de Trump vis-à-vis des suprémacistes blancs aux Etats-Unis. Propos recueillis par Pablo Menguy.

Marie-Cécile Naves, spécialiste des Etats-Unis, auteure de « Trump, la revanche de l’homme blanc » (Textuel, 2018), est chercheuse à l’Institut de Relations internationales et stratégiques (IRIS). Elle revient sur la réaction de Trump après les fusillades de ce week-end et le rapport complexe qu’entretient le président américain avec les suprémacistes blancs. 

Comment interpréter le comportement de Donald Trump après les deux fusillades de ce week-end ?

C’est une séance de communication à replacer dans un feuilleton plus large. Ses déclarations doivent être interprétées les unes par rapport aux autres. Je m’explique.

Lundi, il publie deux tweets pour expliquer qu’il reverra peut-être la législation sur le port d’arme si, en échange, les démocrates acceptent un projet de loi pour restreindre l’immigration. On est en plein dans un marchandage politique. C’est le Trump candidat pour les élections de 2020 qui parle.

Quelques heures plus tard, changement de registre. Il lit un prompteur dans un cadre plus solennel. Il prend la posture d’un président qui doit apaiser une tension collective. Ce Trump-là nous rappelle celui qui était apparu après la tuerie de Charlottesville, il y a presque deux ans jours pour jours. Même séance, même pièce, même appel au calme.

Il change de discours en fonction du contexte et de son public. Comment va-t-il agir demain à El Paso, où il n’est pas forcément le bienvenu ? Quelle sera sa rhétorique dans ses prochains meetings ?

Quel lien fait-il entre suprémacisme blanc et arme à feu ?

L’essentiel de son discours repose sur la dénonciation de coupables. Mais il ne dénonce pas le suprémacisme avec précision. Ceux qu’il dénonce, ce sont les médias dits « fake-news medias », c’est-à-dire ceux qui le critiquent, mais aussi les jeux vidéos, et internet. Cela dit, il n’a pas ciblé les forums d’extrême droite comme 8chan, que fréquentait le tueur d’El Paso. Trump est souvent adulé sur ces forums.

Trump a également mis en avant la folie des individus. Ce n’est pas la première fois qu’il évoque cet argument. Or, à chaque fois, il parle de folie avant que des éléments concerts n’attestent une quelconque maladie mentale. Il veut ainsi faire de ces tueurs des cas isolés et ainsi dépolitiser le sujet. En utilisant le discours de la maladie mentale, il dédouane les politiques de toute responsabilité et n’entre pas sur le terrain de la régulation des armes, sujet sur lequel il n’ira d’ailleurs pas.

Trump ne sera-t-il pas contraint de s’opposer un minimum à la NRA (National Riffle Association, le puissant lobby des armes américain) ?

On aura peut-être droit à des effets d’annonces, comme après la tuerie de Parkland en février 2018. Le président avait adopté un ton apaisant. Il avait annoncé un contrôle sur le port d’arme, avait reçu des lycéens et des associations. Mais finalement, il ne s’est rien passé. Il a déclaré hier que ce sont les hommes qui tuent, et non les armes. Ce sont exactement les éléments de langage de la NRA !

Le suprémacisme américain a-t-il évolué depuis l’arrivée de Trump ?

La violence verbale ne date pas de Trump. Elle s’est amplifiée sous la présidence Obama, premier président noir. Mais sous Trump, on assiste à une recrudescence des actes racistes. Un chercheur américain a parlé de Trump comme d’un mégaphone des racistes blancs. Il leur donne de la voix et légitime leur passage à l’acte. Quand, en meeting, un militant crie qu’il faut tuer les immigrants et que Trump lui sourit, il cautionne cette violence. Il joue le rôle d’amplificateur.

Mais il ne faut pas oublier que Trump n’est qu’un symptôme. Il n’est pas la cause de cette violence qui est beaucoup plus profonde et ancienne.

Et quelle est la cause de cette violence ?

Il y en a plusieurs, mais on peut dire que la peur en est l’élément central. D’ici trente ans, les Blancs ne seront plus majoritaires aux Etats-Unis. C’est un fait. Or, une très petite partie de la population n’accepte pas cette évolution démographique.

Le suprémacisme n’est d’ailleurs pas spécifique aux Etats-Unis. Cette haine ne se limite pas aux Américains. Regardez la tuerie en Nouvelle-Zélande par exemple. C’est un mouvement global, mais pas homogène.

On ne peut donc pas parler d’un seul mouvement suprémaciste blanc ?

Non, ce qu’on appelle suprémacisme est un agglomérat de différents groupes. Ils n’ont pas les mêmes objectifs ni les mêmes boucs émissaires : latinos, musulmans, Noirs… Parfois ils se rejoignent, parfois ils s’opposent entre eux.

Le discours de haine de Trump pourrait-il se retourner contre lui ?

On est encore loin d’une guerre civile aux Etats-Unis. Mais les agences de sécurité intérieures se montrent en effet très inquiètes.Le terrorisme intérieur n’est pas encore une qualification pénale. Mais elles parlent d’un mouvement suprémaciste blanc devenu plus violent et plus fréquent que n’importe quel autre crime de haine comme le djihadisme.

D’un point de vue politique, ce qui peut se retourner contre lui, c’est une forte poussée démocrate à l’élection présidentielle de 2020. On a déjà observé une forte mobilisation des jeunes lors des midterms. Ils sont allés voter contre Trump et contre ses discours de haine. Le président a conscience de ce risque. S’il continue à galvaniser un électorat déjà bien remonté, beaucoup de gens se mobiliseraient pour voter contre lui. Il joue un jeu dangereux.