Tueries aux Etats-Unis : on a lu Trump entre les lignes

Interview pour "Le Parisien", le 6 août 2019

Interview pour « Le Parisien », le 6 août 2019, sur les propos et la politique de Trump concernant le libre port d’armes.

Après deux nouvelles tueries de masse, le président états-unien a préféré blâmer les jeux vidéo et les maladies mentales plutôt que les armes à feu.

Deux attaques, 31 morts, plus de 50 blessés. Le premier week-end d’août a été meurtrier aux Etats-Unis. Lundi, alors que les villes d’El Paso (Texas) et Dayton (Ohio) pleuraient leurs morts, Donald Trump s’est adressé au pays dans un discours très solennel à la Maison-Blanche.

« Nous sommes outrés et écœurés par ce mal monstrueux, la cruauté, la haine, la malice, l’effusion de sang et la terreur », a déclaré le président avant de blâmer, tour à tour, la « haine raciste », Internet, les jeux vidéo ou la maladie mentale. Jamais les armes à feu. Une prise de position très critiquée par l’opposition démocrate.

Retour sur quelques extraits du discours, commentés par Marie-Cécile Naves et Nicole Bacharan, politologues spécialistes des Etats-Unis.

« D’une seule voix, notre pays doit condamner le racisme, le fanatisme et la suprématie blanche » (Trump)

Donald Trump a dénoncé « ces sinistres idéologies qui doivent être vaincues ». Comme il l’a rappelé, le tireur d’El Paso a publié, quelques minutes avant le massacre, un manifeste raciste où il expliquait son geste comme une réponse à l’« invasion hispanique du Texas ».

Un terme que le président avait lui-même déjà utilisé à plusieurs reprises. Comme dans ce tweet de janvier : « Je reviens [de la frontière entre le Texas et le Mexique] et c’est une situation bien pire que ce que presque tout le monde pourrait comprendre, une invasion ! »

« Ses deux campagnes, en 2016 comme en 2020, sont basées sur la peur de l’immigration, pointe Nicole Bacharan. Il propage la haine et le racisme dans ses meetings. » En mai, alors que Trump fait campagne en Floride, il se plaint des immigrants devant des milliers de militants : « Comment est-ce qu’on arrête ces gens ? » « On leur tire dessus ! », crie une femme dans le public. Le président s’arrête et… Rigole.

Une ambivalence quant à la violence de ses supporters que ses adversaires politiques n’ont pas manqué de lui reprocher. « Il ne fait pas que le tolérer, il l’encourage en traitant les immigrants de violeurs, de criminels », s’est indigné Beto O’Rourke, natif d’El Paso et candidat aux primaires démocrates pour l’élection présidentielle de 2020.

Et pourtant, Donald Trump se tient droit devant les caméras pour condamner cette haine qui « déforme l’esprit, ravage le cœur et dévore l’âme ». « La situation le contraint à un discours apaisant et à appeler à l’unité nationale, considère Marie-Cécile Naves. C’est sa posture présidentielle. » La docteure en sciences politiques rappelle le précédent de Charlottesville. Alors qu’une manifestation d’extrême droite avait fait un mort, le président avait dénoncé « des torts des deux côtés », suscitant l’indignation générale.

« Nous devons arrêter la glorification de la violence dans notre société. Cela inclut les jeux vidéo horrifiants et macabres » (Trump)

« Beaucoup d’auteurs de tueries de masse étaient accros aux jeux vidéos. Ça inquiète beaucoup de monde, alors c’est une explication facile avec laquelle Trump ne prend pas beaucoup de risques », estime Nicole Bacharan. Elle souligne que les études sur le lien entre jeux vidéo et violence sont « peu concluantes ». « Il y a le même taux de consommation de jeux vidéo dans d’autres pays, et pourtant il n’y a pas tant de massacres ! », renchérit sa collègue.

Alors quelle est la différence ? L’accès aux armes, répond la politologue : « Il y 260 millions d’armes aux Etats-Unis, dont la moitié sont détenus par 3% de la population. » Un chiffre record qu’elle n’est pas la seule à souligner. Sur Twitter, les commentateurs s’énervent de voir les armes virtuelles plus stigmatisées que celles, bien réelles, utilisées par les tueurs du week-end dernier.

Selon le président états-unien, les jeux vidéo feraient qu’« il est trop facile aujourd’hui pour des jeunes en difficulté de s’entourer d’une culture qui célèbre la violence ». Preuve de l’impact de la parole présidentielle, après son discours, les actions des éditeurs de jeux vidéo ont brutalement chuté, entraînant plus de 4 milliards de pertes en Bourse pour l’industrie.

« La maladie mentale et la haine appuient sur la gâchette, pas l’arme » (Trump)

Les mots de Donald Trump n’ont pas été sans rappelé le slogan de la NRA – National Rifle Association, le très puissant lobby des armes : « Les armes à feu ne tuent pas les gens, les gens tuent les gens. » « Il reprend exactement leurs éléments de langage », s’accordent Nicole Bacharan et Marie-Cécile Naves. « Il avait fait la même chose après la tuerie de Parkland », rappelle cette dernière.

Lundi, un communiqué de la NRA a salué « l’appel du président à s’attaquer aux causes profondes des horribles actes de violence commis dans notre pays ». En 2016, le lobby pro armes avait participé à la campagne du candidat Trump à la hauteur de 30 millions de dollars. Un soutien financier mais aussi une influence politique dont le président a besoin pour garder son électorat – très attaché au 2e amendement, qui permet le port d’armes – en vue de 2020.

Plutôt que d’accabler le lobby des armes, Donald Trump préfère se concentrer sur les individus, qu’il a décrits comme « un monstre tordu » et « un homme mauvais ». « Nous devons réformer nos lois sur la santé mentale afin de mieux identifier les personnes atteintes de troubles mentaux susceptibles de commettre des actes de violence, a-t-il déclaré. Et veiller à ce que ces personnes ne soient pas seulement traitées, mais en cas de nécessité, incarcérées. »

Alors même qu’aucun élément ne prouve les soucis mentaux des tireurs, souligne Marie-Cécile Naves. « Il a besoin de chercher une responsabilité qui ne soit ni la sienne, ni celle de ses électeurs, ni celle de la NRA », conclut Nicole Bacharan.

« Nous devons nous assurer que les personnes jugées comme présentant un risque grave pour la sécurité publique n’ont pas accès aux armes à feu. »

Plusieurs fois tout au long de son discours, Trump a souligné l’importance d’une action « bi partisane » pour empêcher que de tels drames se reproduisent. S’il n’est pas rentré plus dans les détails lundi, il avait déjà fait une offre aux démocrates la veille sur Twitter : une union des deux partis pour renforcer les vérifications des antécédents lors des ventes d’armes.

Mais l’offre comprend une contrepartie : la réforme de l’immigration que le président républicain a promise à son électorat. « Nous devons tirer quelque chose de bien, sinon de grand, de ces deux évènements tragiques ! », a-t-il conclu. « C’est terrible, c’est épouvantable de lier les deux », s’émeut Nicole Bacharan.

D’autant que le président sait que ça n’arrivera pas, selon elle : « La majorité démocrate à la Chambre des représentants n’acceptera jamais de mettre le doigt dans une réforme de l’immigration. » Donald Trump fait donc d’une pierre deux coups : il rappelle à son électorat sa promesse de durcir la politique d’immigration et il s’assure que les ventes d’armes ne sont pas plus régulées. « Et il peut dire que c’est la faute des démocrates », ajoute la co-auteure de « Les secrets de la Maison Blanche ».

« Sa déclaration n’a aucune crédibilité », renchérit Marie-Cécile Naves. Pour cause : en 2017, à peine arrivé à la Maison-Blanche, Donald Trump revient sur le contrôle plus strict du profil psychiatrique de tout acheteur d’arme à feu potentiel, une mesure de son prédécesseur Barack Obama. La chercheuse associée à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) rappelle également les promesses de régulation de la vente d’armes faites aux jeunes lycéens après la tuerie de Parkland. « Et il ne s’est rien passé », souffle-t-elle.

« Ce discours n’est qu’une séance de communication parmi d’autres. C’est un feuilleton, comme une série télé, ou une émission de téléréalité », estime l’auteure de « Trump, la revanche de l’homme blanc ». Le prochain épisode? « Son prochain tweet, son prochain meeting, son déplacement à El Paso demain… Qu’est-ce qu’il va dire? Avec Trump, il faut être prudent, on ne sait jamais. »