Donald Trump : « La procédure d’impeachment va diviser un peu plus le pays »

"Live chat" avec les lecteurs du "Monde", le 26/09/19

« La procédure d’impeachment va diviser un peu plus le pays ». La chercheuse à l’IRIS Marie-Cécile Naves a répondu à vos questions sur l’ouverture de la procédure de destitution du président américain et sur la publication d’une conversation entre Trump et le président ukrainien.

Publié le 26 septembre 2019 à 16h25 – Mis à jour le 26 septembre 2019 à 17h02

Mardi 24 septembre, les représentants démocrates ont officiellement lancé une procédure de destitution (impeachment) du président américain. Selon la présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, Donald Trump a « violé la Constitution » en demandant au président ukrainien d’enquêter sur Joe Biden, candidat démocrate pour l’élection présidentielle de 2020.

Mercredi, la Maison Blanche a publié le compte rendu de la conversation téléphonique entre Trump et Volodymyr Zelensky, le 25 juillet. Il confirme que le président américain a bien demandé une « faveur » à son homologue. A New York pour l’Assemblée générale de l’ONU, le président a rapidement balayé ces accusations.

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Pour comprendre ces rebondissements et leurs impacts sur la vie politique américaine, la chercheuse Marie-Cécile Naves, spécialiste des Etats-Unis pour l’IRIS, a répondu à vos questions dans un tchat.

Les présidents ukrainien et américain, Volodymyr Zelensky et Donald Trump, le 25 septembre, à l’Assemblée générale des Nations unies, à New York.
Les présidents ukrainien et américain, Volodymyr Zelensky et Donald Trump, le 25 septembre, à l’Assemblée générale des Nations unies, à New York. SAUL LOEB / AFP

Anne : Je comprends que Donald Trump a fait une faute politique grave : demander une enquête sur un adversaire politique, qui plus est à un dirigeant d’un pays étranger. Mais en quoi a-t-il violé la Constitution américaine ?

Il y a un triple soupçon : primo, celui d’un abus de pouvoir présidentiel dans le cadre de la campagne (faire enquêter sur un opposant) ; secundo, celui d’une mise en danger de la sécurité de l’Etat (puisque Donald Trump aurait demandé à l’Ukraine de mener cette enquête) ; tertio, celui d’obstruction à la bonne marche de l’Etat puisque l’administration Trump semble avoir empêché l’accès du Congrès à ces éléments relatifs à la sécurité nationale (un lanceur d’alerte du renseignement ayant alerté ses supérieurs).

R : Jusqu’alors, M. Trump a déjà été impliqué dans des scandales très sérieux, sans qu’il n’ait subi de conséquences majeures ou que sa base ne semble affectée. Ces récentes révélations sont-elles une menace réelle pour lui ?

En effet, il s’en est toujours bien sorti jusqu’ici, en particulier à la suite de la publication du rapport du procureur Mueller qui enquêtait sur l’interférence de la Russie dans la campagne de 2016 (avérée), et sur la possible collusion de l’équipe de campagne de Trump et du candidat Trump lui-même avec la Russie. Cela ressemble beaucoup au cas actuel puisque cette interférence était en réalité une enquête sur la candidate Clinton.

La différence avec aujourd’hui est double : le ministre de la justice, William Barr, a eu le rapport Mueller en main le premier et en a fait un résumé disons très « personnel », tirant des conclusions très favorables à Trump. Deuxième différence : la temporalité. L’administration Trump a eu le temps de préparer sa communication (« no collusion », « je suis blanchi »). Une enquête est en cours à la Chambre sur les conclusions du rapport Mueller, mais cela prendra du temps. Avec l’affaire Ukraine-Biden, Pelosi veut aller vite, pour déstabiliser le camp Trump. Pour l’instant, cela fonctionne.

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Un curieux : Admettons que la procédure de destitution passe la Chambre des représentants, quelles seraient les modalités du procès au Sénat ? Sera-t-il public ? Au-delà de l’issue probable, est-ce que la nécessité de devoir s’expliquer devant des élus réunis en formation de jugement ne serait pas en soi catastrophique pour Trump ?

Si la Chambre vote la destitution, le Sénat se transforme alors en tribunal pour mener un procès pénal. Le président de la Cour suprême en prend la présidence et Trump a droit à un avocat, il vient s’expliquer, des témoins peuvent être sollicités, etc. Comme dans un vrai tribunal. (…)

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Le président américain, Donald Trump, le 25 septembre, à New York.
Le président américain, Donald Trump, le 25 septembre, à New York. JONATHAN ERNST / REUTERS

Emmac’estmoi : A priori les chances que cette procédure de destitution aboutisse sont assez mitigées. Les opposants à Trump ne se tirent-ils pas une balle dans le pied en lui permettant de capitaliser sur une chasse aux sorcières contre lui, très alléchante électoralement ? Ou devons-nous y voir la bonne santé du système parlementaire américain ?

J’y vois, comme vous, le signe d’une bonne santé des institutions démocratiques américaines qui, et on le voit dans d’autres dossiers (comme la diplomatie), résistent aux tentatives d’abus de pouvoir du président. Le message de Nancy Pelosi (speaker, présidente de la Chambre) est aussi celui-ci, car elle sait que la procédure, à ce stade, a peu de chances d’aboutir au Sénat : mettre fin au sentiment d’impunité de Trump, mettre fin à ses tentatives fréquentes d’obstruction au travail parlementaire, garantir l’équilibre des pouvoirs, et donc le fragiliser politiquement.

C’est le point culminant de l’affrontement entre la Maison Blanche et les démocrates de la Chambre. Chacun des deux camps joue gros en pleine campagne (présidentielle et législative), mais je crois que Nancy Pelosi a estimé qu’elle n’avait plus le choix, alors qu’elle était jusqu’ici réticente à engager la procédure.

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42 : Quelle influence sur la primaire démocrate ? Les électeurs font-ils front derrière Joe Biden ? La gauche démocrate est-elle renforcée par le lancement de la procédure d’impeachment ?

Ce sont d’excellentes questions que, probablement, le camp démocrate se pose depuis plusieurs jours. Joe Biden va sortir fragilisé de cette histoire, c’est évident (en cela Trump remporte une victoire). En effet, on le voit mal ne pas répondre à des questions qui ne manqueront pas d’arriver sur les liens passés de son fils avec l’Ukraine, quand lui-même était vice-président. Biden est considéré pour l’heure comme le candidat le plus crédible face à Trump, mais qui sait ce qu’il en sera dans les prochains jours et semaines ?

Joe Biden va sortir fragilisé de cette histoire. On le voit mal ne pas répondre à des questions sur les liens passés de son fils avec l’Ukraine, quand il était vice-président.
Joe Biden va sortir fragilisé de cette histoire. On le voit mal ne pas répondre à des questions sur les liens passés de son fils avec l’Ukraine, quand il était vice-président. Marcio Jose Sanchez / AP

Ce qui est certain, c’est que la procédure d’impeachment va diviser un peu plus le pays (si c’était possible), entre les pro et les anti-Trump. Les deux électorats vont être galvanisés, et donc cela peut servir chacun des deux candidats, en novembre 2020. On rappelle que la participation électorale a été exceptionnelle pour les mid-terms de novembre 2018 (élections de mi-mandat), en particulier chez les démocrates, qui ont voulu sanctionner le président dans les urnes. Le suspense n’en est que plus grand !

Edouard : Y a-t-il des indignations dans le propre camp de D. Trump ? Cette procédure provoque-t-elle des tensions au sein même de sa famille politique ?

Pour l’instant, il y en a peu. Ils attendent de voir ce qui va être révélé, mais aussi de voir comment les sondages vont évoluer dans la population quant à l’impopularité de cette procédure d’impeachment (exemple : si les électeurs républicains commencent à lâcher Trump, ils le lâcheront aussi, car n’oublions pas que beaucoup jouent leur réélection à la Chambre ou au Sénat en 2020). (…)

E. Snowden : En sait-on plus sur le lanceur d’alerte à l’origine de cette procédure d’impeachment ? Va-t-il témoigner ? A visage découvert ?

Le grand public et la presse ne connaissent pas son identité (c’est un agent du renseignement, donc, par définition, c’est un peu le « bureau des légendes »). Je lisais, à midi, dans la presse américaine que son entourage craignait que Trump, acculé, ne dévoile son identité au grand jour, voire ne lance une campagne de harcèlement sur Twitter. Il a dit par ailleurs qu’il était prêt à témoigner devant le Congrès. Il faut voir ce que la loi permet en la matière. L’engagement d’une procédure de destitution facilitera peut-être l’organisation de son témoignage à la Chambre, par exemple.

Chaxis : Comment réagissent la France, l’Allemagne et l’Union européenne, qui ont été mises en cause par Donald Trump et le président Zelensky pour leur supposée inaction en Ukraine ?

A ma connaissance, pas de réaction officielle encore, mais il est évident que les chefs d’Etat vont désormais être extrêmement prudents dans leurs conversations téléphoniques éventuelles avec Donald Trump. Ceci a des effets très directs et immédiats : la diplomatie américaine sort fragilisée, quelle que soit l’issue de la procédure d’impeachment.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, que Trump a croisé hier lors de l’Assemblée générale de l’ONU, est très mal à l’aise et tente de minimiser ses propos ainsi que l’affaire. Il a bien compris qu’il a été doublement piégé par Trump : sur le fond avec les demandes que celui-ci lui a faites, sur la forme en lui faisant un chantage au téléphone sur les aides financières militaires des Etats-Unis à son pays.