Impeachment : « Trump peut en sortir blanchi, renforcé et triomphant »

Interview pour France Inter, le 25/09/19

La Chambre américaine des représentants va ouvrir une enquête pour « impeachment » à l’encontre de Donald Trump, première étape d’une procédure de destitution contre le président des États-Unis. Cinq questions à Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques).

La présidente démocrate de la chambre basse, Nancy Pelosi a annoncé une enquête en vue de la destitution de Donald Trump
La présidente démocrate de la chambre basse, Nancy Pelosi a annoncé une enquête en vue de la destitution de Donald Trump © AFP / Jim LoScalzo / Consolidated News Photos / dpa Picture-Alliance

Avertis par un mystérieux lanceur d’alerte, les élus de la Chambre soupçonnent Donald Trump d’avoir fait pression sur les autorités ukrainiennes pour les forcer à enquêter sur l’ancien vice-président de Barack Obama, Joe Biden, bien placé pour l’affronter lors du scrutin de 2020.  « Le président doit rendre des comptes. Personne n’est au-dessus de la loi », a déclaré Nancy Pelosi, présidente démocrate de la Chambre.

La procédure d' »impeachment » se déroule en plusieurs étapes. La Chambre des représentants enquête et, s’il y a lieu, rédige et vote à la majorité simple des motifs de mise en accusation (« impeachment ») contre le président. Si la Chambre vote l’impeachment, le Sénat organise un procès. La décision de culpabilité est prononcée à la majorité des deux tiers.

On commence à connaître la retranscription de la conversation avec le président ukrainien. Donald Trump a bien demandé à son homologue ukrainien d’enquêter sur son rival Joe Biden, selon le résumé de la transcription d’un appel téléphonique entre les deux dirigeants rendue publique mercredi par la Maison Blanche.  « On parle beaucoup du fils de Biden et du fait que Biden ait arrêté l’enquête et beaucoup de gens veulent en savoir plus sur le sujet, donc cela serait formidable si vous pouviez vous pencher dessus », dit-il à Volodymyr Zelensky lors de cet échange le 25 juillet.  Donald Trump propose à cette occasion à son homologue ukrainien de travailler en coopération avec son avocat Rudy Giuliani et avec le ministre américain de la Justice Bill Barr.

Questions à Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques).

FRANCE INTER :  Que vous inspirent les premiers éléments retranscrits de cette conversation entre Trump et Volodymyr Zelensky ?

MARIE-CÉCILE NAVES :  Pour l’instant on sait ce que la Maison Blanche veut bien lâcher, et il y aura sûrement d’autres révélations. Mais Trump va tout faire pour maîtriser la communication sur cette affaire, comme il a réussi à le faire avec le rapport Mueller (bien aidé par son attorney general Barr). Par exemple en se donnant le « beau rôle », parce qu’il  a lui-même avancé comme argument dans ses conversations avec le président ukrainien, la corruption de Biden, comme en attestent les premières bribes retranscrites. Il va vouloir démontrer que la conversation était « nice » et « beautiful » avec son homologue ukrainien, qu’il a voulu défendre la sécurité des États-Unis parce qu’il pense que la famille Biden est corrompue. Il répétera aussi sans doute que c’est parce que l’Ukraine est elle aussi corrompue qu’il a retiré l’aide financière que les États-Unis étaient censés lui accorder

La chambre des représentants, vu sa composition, arrivera-t-elle à mettre au point une liste de motifs d’accusation et une motion d’impeachment ?

« C’est le plus probable. Chacun des six comités de la Chambre (judiciaire, renseignement, moyens, finances, surveillance, affaires étrangères) sont mandatés par la speaker [la présidente de la Chambre, NDLR] Pelosi pour mener leurs enquêtes. Or, plusieurs sont déjà en cours sur la présidence Trump, donc les commissions sont mobilisées. De plus, les démocrates vont vouloir aller vite. Le comité judiciaire soumettra bientôt une résolution aux élus de la Chambre qui voteront (ou non) la motion d’impeachment. La majorité simple suffit. La Chambre est aujourd’hui démocrate donc il est, à ce stade, probable que la motion soit adoptée et la procédure votée.  »

Le Sénat est censé organiser un procès, mais êtes-vous d’accord avec l’idée que cela a peu de chance d’arriver ?

« C’est en effet le Sénat qui prend la main, sous la présidence exceptionnelle du président de la Cour suprême. C’est un véritable procès pénal et le Sénat se transforme donc en tribunal. Il faut une majorité des deux tiers des sénateurs pour destituer le président, ce qui a très peu de chances d’arriver dans les mois qui viennent. Un éventuel retournement de situation serait que de nouveaux sondages mettent en évidence le fait que les électeurs conservateurs ou indépendants souhaitent majoritairement que la procédure se poursuive, voire, au regard des nouveaux éléments de l’affaire qui seront rendus publics, que les éléments contre Trump s’accumulent. Cette hypothèse est cependant faible.

Le Sénat prend tout de même le sujet au sérieux (notamment la mise en danger de la sécurité du territoire dans cette affaire ukrainienne) : il a voté à l’unanimité pour demander à l’administration Trump de lui fournir l’intégralité du rapport du lanceur d’alerte, qu’il va peut-être auditionner. »

Si le Sénat ne vote pas la culpabilité de Trump, que se passe-t-il ensuite ?

« Il y a plusieurs enquêtes en cours sur Trump à la Chambre : conflits d’intérêts avec la Trump organization, RussiaGate, etc. Mais on est sur le temps long. Pour la procédure d’impeachment, il est certain que si le Sénat ne vote pas la destitution, Trump triomphera et se déclarera blanchi. Il peut en sortir renforcé pour la suite, surtout s’il est réélu. Il en fera une affaire personnelle : Nancy Pelosi le déteste et il est « seul contre tous » (les démocrates et les médias de gauche).

C’est une question d’honneur et de responsabilité pour des élus chevronnés comme Pelosi.

Quelle trace pour l’avenir, quel impact sur la campagne électorale à venir ?

« C’est difficile à dire. Chacun des deux camps joue gros pour la campagne. Les électeurs des deux partis vont être galvanisés, plus encore que lors des derniers midterms de novembre 2018. La destitution va désormais être au cœur de la campagne, elle va occulter les sujets de campagne (santé, environnement, etc.) et risque de fragiliser Biden qui va être confronté aux « affaires » de son fils avec l’Ukraine. Ce pourrait être l’équivalent pour lui des e-mails de Clinton en 2016. Mais finalement, dans cette présidence hors norme, les institutions démocratiques résistent bien aux tentatives d’abus de pouvoir du président.«