Les grands événements sportifs internationaux, accélérateurs d’innovation ?

Article pour IPSOS Global Affairs, co-écrit avec Chloé Morin, le 21/09/19

Quel est l’impact sociétal des grands évènements sportifs ? Chloé Morin, Directrice de projets internationaux, Ipsos Global Affairs et Marie-Cécile Naves, Directrice des études, Sport et Citoyenneté décryptent ces phénomènes pour IPSOS et « Acteurs de l’Economie ».

La Coupe du Monde de football, un grand rassemblement sportif à fort impact sociétal

Tribune de Chloé Morin, Directrice de projets internationaux, Ipsos Global Affairs et Marie-Cécile Naves, Directrice des études, Sport et Citoyenneté

La coupe du monde féminine de football en France a laissé de bons souvenirs. Aux 12 millions de téléspectateurs réunis pour le quart de finale entre la France et les États-Unis, sans doute. Mais pas seulement. Les habitants des villes hôtes, comme celles et ceux qui ont aperçu un autre visage du sport et du football, capable de porter puissamment des valeurs d’égalité, de tolérance ou de fair-play. Les professionnels du tourisme ou les acteurs du sport amateur ont, eux aussi, pu percevoir quelques effets bénéfiques de cette grande compétition internationale avec quelques chiffres de fréquentation ou d’inscription dans les clubs à court terme. Mais, à ce stade, aucune évaluation globale et tangible de l’impact d’un tel événement n’a été réalisée. C’est un énorme gâchis car dans le même temps, les polémiques ont repris leur cours. Violences en marge des stades. Banderoles homophobes. Débats sur l’interdiction de l’alcool dans les enceintes sportives… Elles viennent nous rappeler que le sport ne peut ni ne doit fonctionner en vase clos, et que s’il est bien souvent un révélateur de nos sociétés, il est aussi un facteur puissant de changement et d’innovation dans tous les domaines.

Parce que le sport est un laboratoire de transformation sociale, et que les prochains grands événements sportifs internationaux affichent une grande ambition dans ce domaine, il est plus que jamais important de se donner les moyens de mesurer sa contribution à notre société, et d’ajuster ainsi nos politiques publiques. 
Les ambitions d’égalité, d’émancipation et de solidarité dont le sport se prévaut doivent évidemment se décliner concrètement dans les pratiques professionnelles et amateures, la médiatisation et la gouvernance. Mais le sport peut également, si nous nous en donnons les moyens, devenir un outil transversal et durable de développement pour les décideurs publics et privés. Le sport doit, de fait, composer avec le défi que représente la défiance citoyenne à l’égard des « élites » et des institutions établies. Dans ce contexte, se (re-)connecter à des problématiques qui concernent le quotidien des plus jeunes, des citoyens, des salariés… répondre aux attentes sociales et économiques citoyennes, est à la fois une nécessité et une opportunité.
Le sport peut aussi être à l’avant-garde de l’innovation, à condition que les progrès technologiques rencontrent, là encore, les besoins des populations. En effet, le partage de technologies connues des sportifs de haut niveau n’est ni magique, ni automatique

Les exemples vertueux sont là, qui méritent d’être dupliqués, à l’instar du Motion Lab, du sac de boxe augmenté et du gymnase augmenté du Centre de Recherches Interdisciplinaires, à Paris, qui ont mis au point des programmes de recherche expérimentale avec des ingénieurs, des designers, des artistes et des hôpitaux sur le geste et le mouvement à des fins de santé et d’apprentissage tout au long de la vie. Les problématiques de dépendance et de perte d’autonomie, mais aussi d’accompagnement des aidants sont essentielles : le numérique appliqué aux enjeux de mobilité quotidienne et de solidarité intergénérationnelle est une source infinie de progrès. L’appropriation et l’usage des données personnelles peuvent, dans tous les domaines de la vie quotidienne, être associés à l’intelligence corporelle.

Pour que les innovations sportives viennent nourrir le progrès social, et irriguer l’ensemble de la société, encore nous faut-il organiser les choses, savoir capter les aspirations et les besoins de la population. Créer des lieux de savoir et de rencontres, tels des fab labs adossés à des universités ou des hôpitaux, pour connaître et partager ces innovations technologiques dont les applications concrètes peuvent bénéficier à toutes et à tous, est essentiel à l’échelle d’une ville ou d’un quartier. Lutte contre la sédentarité, renforcement ou maintien des capacités cognitives … nous avons là de quoi jeter les bases d’une recherche participative, pourvu que nous sachions déployer les stratégies adéquates.

Le sport vecteur de lien social

Les Grands Événements Sportifs Internationaux (GESI) sont sans doute une occasion unique de mieux penser la manière dont le sport peut bénéficier à la société. En effet, ils fournissent aux décideurs des occasions exceptionnelles pour travailler en amont, pendant et en aval des compétitions afin de répondre au mieux aux attentes individuelles et collectives sur les territoires. Parce que le sport ne se réduit pas à la performance physique et au nombre de médailles remportées par tel ou tel pays, aucun GESI ne doit plus être appréhendé et médiatisé comme un événement ponctuel, une parenthèse émotionnelle intense dans un quotidien morne, un dispositif déconnecté des politiques publiques et des stratégies de développement économique et social du lieu où ils sont organisés. Un GESI, qui formule des promesses, doit être porteur de changements structurels durables et laisser des traces mesurables et inspirantes.

Aucun événement, quel qu’il soit, n’existe en dehors de la manière dont on choisit de le construire. Un championnat d’Europe ou du Monde, des Jeux Olympiques et Paralympiques n’ont aujourd’hui plus d’autre choix que de créer un contexte de réflexion, d’expérience et d’action impliquant une multiplicité d’acteurs, et permettant de déployer le pouvoir du sport dans la société, dans une temporalité longue (avant, pendant, après la compétition). L’impact social et durable des grandes compétitions sportives se joue ici. Pour que l’« héritage » tant promis des GESI – « Le sport change des vies » est l’un des slogans du Comité d’organisation de Paris 2024 – ne se réduise pas à un « wishful thinking » qui serait délétère pour les représentations collectives du sport, les responsables sportifs, politiques, éducatifs et économiques ont des comptes à rendre. Le sport n’en sortira pas dénaturé mais au contraire grandi.