Mort d’Al-Baghdadi : la victoire politique et militaire de Trump

Interview pour L'Express.fr, le 28.10.19

Après plusieurs semaines de difficultés sur la scène politique intérieure, le président Trump tente de reprendre la main grâce à la mort du leader de Daech. Interview par Paul Véronique, le 28 octobre 2019.

Donald Trump veut reprendre la main. Lors d’une allocution officielle à la Maison Blanche dimanche, le président des États-Unis a annoncé la mort d’Abou Bakr al-Baghdadi, chef du groupe État islamique, après une opération lancée par les forces américaines dans un village du nord-ouest de la Syrie. Cerné à l’issue de ce raid, l’homme le plus recherché au monde s’est suicidé en déclenchant sa ceinture d’explosifs, tuant également ses trois enfants.

« Il n’est pas mort comme un héros, il est mort comme un lâche », « comme un chien », a martelé Donald Trump lors de son allocution devant les journalistes, indiquant qu’il avait visionné le raid en direct grâce à des caméras embarquées par les membres des forces spéciales. « Capturer ou tuer al-Baghdadi était la priorité absolue de mon administration », a-t-il insisté.

Une victoire incontestable pour le président américain, au moment où il concentre les critiques – y compris dans son propre camp – pour avoir retiré ses troupes de Syrie, et qu’il est ciblé par une enquête en vue d’une éventuelle procédure de destitution dans l’affaire ukrainienne. « Cela tombe à pic puisque ça lui permet de faire diversion par rapport à des sujets de l’agenda médiatique qui le fragilisaient jusqu’alors », souligne auprès de « L’Express » Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’Institut de Relations internationales et stratégiques (IRIS), et spécialiste des États-Unis.  

Incarnation du Trump chef de guerre

Dans ce contexte, loin de bouder son plaisir, le président américain a ménagé son effet en annonçant sur Twitter que « quelque chose d’énorme » venait de se produire, quelques heures avant de confirmer la mort du leader du groupe État islamique. Puis, une fois venu le moment de son allocution, le milliardaire n’a pas mâché ses mots. « Il est mort comme un lâche, courant et pleurant (…) Le voyou qui a essayé d’intimider les autres a passé ses derniers instants dans une peur terrible, en panique et inquiétude totales, terrifié par les forces américaines qui s’abattaient sur lui », a-t-il tonné.

D’un ton martial, le président américain a livré son récit de l’attaque, donnant de nombreux détails – parfois crus – sur l’opération : précisant par exemple qu' »il ne restait pas grand-chose » du corps du chef de l’État islamique. « Il s’est exprimé avec des mots particulièrement forts, dans un langage de guerre », constate auprès de L’Express Jean-Éric Branaa, maître de conférences à l’Université Panthéon-Assas, spécialiste de la politique américaine et auteur de Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama. « Ce faisant, Donald Trump s’est vraiment posé en chef des troupes, pour crédibiliser son action grâce à cette annonce », ajoute-t-il.

Un vocabulaire guerrier qui a aussi retenu l’attention de Marie-Cécile Naves. « Cette communication viriliste correspond au récit qu’il veut imposer aux yeux des électeurs : celui d’un dirigeant fort, qui ne craint pas l’adversité », décrypte-t-elle. « C’est le moment parfait pour lui pour reprendre la main sur un récit politique qui lui échappait. »  

Un argument en faveur de sa politique extérieure

Parce qu’au-delà de son statut de chef des armées, le locataire de la Maison Blanche tient aussi là son meilleur argument pour faire valoir sa politique étrangère, tant critiquée ces dernières semaines. Dans sa majorité, de nombreuses voix s’étaient élevées pour dénoncer le retrait des troupes américaines de Syrie : à l’instar du sénateur Lindsey Graham, pourtant fervent partisan de Donald Trump, qui voyait dans l’abandon des Kurdes « une tâche sur l’honneur de l’Amérique ». Avant de changer radicalement de ton depuis dimanche. « C’est le moment où les critiques les plus sévères du président Trump devraient dire : ‘Bien joué' », a-t-il salué après l’allocution présidentielle. « Ce que je vois se produire en Syrie fait sens pour moi. Maintenant je comprends ce que le président veut faire », a-t-il assuré.

« Jusqu’à présent, Donald Trump n’avait pas de bilan réellement solide à présenter en termes de politique extérieure », estime Jean-Éric Branaa. « Mais désormais il peut brandir la mort d’Abou Bakr al-Baghdadi comme un trophée : comme Barack Obama en son temps avec celle d’Oussama Ben Laden. » La cote de popularité de l’ancien président avait en effet bondi de 11 points en deux semaines, après l’exécution du chef d’Al-Qaida en 2011, 57% des Américains approuvant son action. Une potentielle aubaine pour Donald Trump, à un an de l’élection présidentielle.

Mais pour Marie-Cécile Naves, un tel sursaut semble assez improbable. « L’opinion publique est extrêmement clivée aujourd’hui aux États-Unis, donc on imagine mal des démocrates redonner leur confiance à Donald Trump. En revanche, cela pourrait jouer auprès de certains républicains modérés », juge-t-elle. Par ailleurs, encore faut-il que cette sympathie s’inscrive dans le temps. Dans le cas de Barack Obama, la popularité regagnée à court terme s’était effacée au bout de quelques mois, retombant à 39% d’opinions favorables en août 2011 selon un sondage Gallup.  

Des républicains unis contre l’impeachment de Trump

Le succès de l’opération visant al-Baghdadi offre aussi une bouffée d’oxygène à Donald Trump dans l’enquête lancée contre lui par la Commission judiciaire de la Chambre des représentants, en vue d’une éventuelle procédure de destitution. Les démocrates du Congrès le soupçonnent en effet d’avoir abusé de son pouvoir en faisant pression sur l’Ukraine pour qu’elle enquête sur son rival politique Joe Biden. Et depuis plusieurs semaines les éléments à charge ont semblé faire vaciller l’administration Trump.

Mais annonçant la mort du chef du groupe État islamique, le président a contribué à consolider derrière lui un camp républicain où les fissures commençaient à apparaître après le retrait des troupes de Syrie. Alors que le chef de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, déplorait un « cauchemar stratégique », il salue depuis dimanche « le leadership » du locataire de la Maison Blanche.

Or c’est bien l’unité derrière le président américain qui constitue son meilleur bouclier.

Photo : Reuters