L’impeachment, argument électoral de Trump

Interview pour "La Montagne", le 20/12/19

Donald Trump est le troisième président américain à connaître l’affront d’une mise en accusation (impeachment) au Congrès. Le milliardaire ne manquera pas de faire de cette mésaventure un argument électoral contre ses adversaires démocrates. Interview pour « La Montagne », le 20 décembre 2019.

C’est acté. Donald Trump est depuis mercredi le troisième président de l’histoire américaine renvoyé devant le Sénat pour un procès en destitution (impeachment), après Andrew Johnson en 1868 et Bill Clinton en 1998.

Marie-Cécile Naves, politologue, chercheuse associée à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) en analyse les conséquences sur la prochaine présidentielle.

Cette procédure d’impeachment a peu de chance d’aboutir ?

Absolument, sauf énorme surprise. Hormis le ralliement de quelques sénateurs républicains, les élus démocrates ne peuvent compter que sur leurs propres voix. Et celles-ci ne suffiront pas, étant donné que les républicains détiennent la majorité au Sénat.

Cette procédure et son lot de révélations n’embarrassent pas plus que ça les élus républicains ?

Trump s’est imposé à un Parti et des élus républicains qui ne peuvent plus faire autrement que le soutenir. Beaucoup ont peur de lui, de la virulence de ses tweets et de ses attaques en meeting, car beaucoup remettent leur mandat en jeu en novembre 2020. En coulisse, en off, certaines langues se délient, s’accordant à dire que l’actuel Président mérite d’être destitué. Mais voilà les Républicains n’ont pas de solution alternative.

Comment réagit l’opinion ?

Les auditions publiques à la Chambre des représentants n’ont pas modifié une opinion toujours aussi clivée, toujours aussi partisane. Trump est ainsi étonnamment stable dans les sondages autour de 45 % d’opinions favorables, une cote pas très élevée certes mais stable depuis trois ans. Et 80 voire 90 % de ces opinions favorables proviennent de l’électorat républicain. Cet électorat, toutefois, se divise en deux : d’un côté, les Républicains dans l’âme, qui ne sont pas forcément trumpistes, et, de l’autre, ceux qui sont sensibles à son style, à sa rhétorique outrancière, et adhère à sa théorie du complot.

« La procédure de l’impeachment sera probablement au centre de la campagne de Trump »

Cet électorat reste cependant numériquement faible chez les Républicains…

Comme en France, les classes populaires votent peu. Et quand elles votent, elles votent davantage pour les démocrates qui attirent également les suffrages des classes moyennes et supérieures. L’électorat républicain est sensiblement le même sur le plan du revenu (hors classes populaires donc) mais l’électeur type de Trump est un homme, blanc, chrétien, âgé de plus de 45 ans et peu diplômé. C’est à lui que Trump s’adresse principalement. Il doit cependant reconquérir une partie des électrices blanches qui se sont beaucoup détournées de lui depuis trois ans.

On imagine facilement les thèmes de sa campagne…

La procédure de l’impeachment sera probablement au centre de la campagne de Trump, surtout s’il est acquitté. Elle nourrira une rhétorique victimaire. Trump n’a d’ailleurs pas son pareil pour retourner contre ses adversaires leurs propres arguments. En l’occurrence, il affirmera sans vergogne qu’à travers cette procédure c’est la constitution que menaçaient les Démocrates… N’a-t-il pas récemment déclaré que le procès des sorcières de Salem avait été plus juste que celui qui lui était fait ? C’est une manière de réaffirmer, comme en 2016, que l’establishment est contre lui, qu’il est le candidat du peuple… C’est donc bien à son électorat populaire qu’il s’adresse, l’enjoignant de revoter pour lui.

Mais il lui faudra ratisser plus large ?

Les classes plus aisées voteront, elles, d’autant plus facilement pour Trump qu’elles voteront déjà républicain aux législatives. Ces classes sont aussi les grandes bénéficiaires de la baisse d’impôts. Trump aura besoin de toutes les voix. Car, comme en 2016, il n’aura probablement pas la majorité au niveau national et ne pourra l’emporter qu’à la faveur de victoires dans quelques Etats-clés. Il cherche aussi à séduire, comme en 2016, du côté des Évangélistes, par une politique très pro-Israël, hostile à la communauté gay, au droit à l’avortement et aux droits des femmes en général. Il déploiera ainsi une thématique identitaire en stigmatisant également les immigrés, légaux et illégaux, et la lutte contre le réchauffement climatique, arguant que celle-ci nuit au mode de vie capitaliste américain, à son droit de prédation sur la nature comme à son appétit de consommation.

Son bilan à la tête du pays pèsera également ?

Sur le plan international, il peut se targuer d’avoir tenu parole sur certains sujets. En se retirant de l’Unesco, de l’Accord de Paris, en faisant voler en éclats l’accord le nucléaire iranien, en augmentant les droits de douane, les États-Unis se sont bel et bien repliés sur eux-mêmes. Sur le plan économique, il peut aussi se targuer d’un bon bilan même si nombre d’économistes estiment que celui-ci aurait pu être bien meilleur sans sa politique mercantiliste notamment. La croissance est là, le chômage a baissé. Mais le déficit et la dette fédérale ont explosé.

Propos recueillis par Jérôme Pilleyre