Violences sexuelles : le monde sportif face à la parole des victimes

Invitée des "Matins" de France Culture, le 19.02.20

J’étais l’invitée des « Matins » de France Culture, le 19 février 2020, pour parler, avec le journaliste Mathieu Martinière, des violences sexuelles dans le sport, en France et ailleurs. L’émission était présentée par Hervé Gardette.

Le monde du sport n’est pas épargné par la vague de libération de la parole des victimes de violences sexuelles. Quelles sont les spécificités de ce milieu et comment le réformer ?

Les révélations sur les violences sexuelles dans le patinage, et plus généralement dans le monde sportif, vont-elles provoquer une prise de conscience ?
ANNE-CHRISTINE POUJOULATAFP

Dans ce grand mouvement de libération de la parole des femmes victimes de violences sexuelles, le sport de haut niveau était jusque-là resté un peu à l’écart. La publication du livre de l’ancienne championne de patinage artistique Sarah Abitbol, ‘’Un si long silence’’, dans lequel elle accuse un de ses anciens entraîneurs de l’avoir violée lorsqu’elle avait 15 ans, a eu l’effet d’un déclic.

Une libération après un long silence, sans doute favorisé à la fois par l’emprise que peuvent avoir certains encadrants sur de jeunes champions, mais aussi par l’obsession permanente de la compétition et de la victoire. Mais dans ces affaires, il est aussi question de surdité, certains témoignages, plus anciens, n’ayant pas été suffisamment pris au sérieux. Vendredi, le ministère des Sports organise une Convention nationale sur la prévention des violences sexuelles dans le sport, en présence des présidents de Fédération. Assiste-t-on aujourd’hui à un tournant ?

Pour en parler, Hervé Gardette reçoit Marie-Cécile Naves, directrice de l’Observatoire genre et géopolitique à l’IRIS, membre de Sport et Citoyenneté, co-autrice de Le pouvoir du sport (ed. FYP, 2017), Amélie Quéguiner, cavalière, enseignante en équitation et éleveuse, et Mathieu Martinière, journaliste, co-auteur d’une longue enquête sur la pédophilie dans le sport publiée en décembre 2019 sur le média « Disclose », membre du comité éditorial de « Disclose » et co-auteur de Eglise, la mécanique du silence(Lattès, 2017).

Une vague de libération de la parole

« Le déclic a été bien sûr la parole de Sarah Abitbol. Je l’ai entendue parler de victimes qui avaient été agressées et violées par plusieurs agresseurs. Cela a légitimé mon histoire à moi où j’avais encore une chape de honte qui ne me permettait pas de dire que j’avais été la victime de plusieurs agresseurs. » Amélie Quéguiner

Le sport, lieu de rapports de domination ?

« Le sport est un monde qui s’est longtemps pensé en dehors du monde et du droit commun. Le coach est parfois un parent de substitution dans une position de domination ». Marie-Cécile Naves

« Le sport, malgré ses valeurs de respect des règles, ce sont des normes de soumission du corps, d’abnégation, du goût de l’effort, où on apprend à souffrir en silence ». Marie-Cécile Naves

« On entend souvent parler de liens affectifs, voire amoureux, d’admiration, poussés à l’extrême sur l’entraîneur. Moi, ça n’a pas été du tout le cas, l’emprise était bâtie sur la peur, l’autorité. Quand on parle d’abnégation, et de souffrir en silence, c’est vraiment ça, et c’est par exemple basé sur une pédagogie de l’échec. » Amélie Quéguiner

L’omerta dans le sport

Mathieu Martinière revient sur les difficultés à mener une enquête sur la pédophilie dans le sport :

« [Cette enquête] a été compliquée dans le sport parce qu’il y a une certaine omerta. C’est un monde clos. Moi, ce qui m’a vraiment étonné, notamment par rapport à l’Église, c’est parfois la défense viscérale qu’on peut avoir vis-à-vis des entraîneurs. C’est pour ça que les victimes ont du mal à parler. C’est parce qu’en fait un entraîneur dans une communauté a une telle aura que les victimes n’osent pas, parce que c’est quelqu’un de charismatique. » Mathieu Martinière