Face à la pandémie, pourquoi Trump et Bolsonaro refusent le confinement

Interview accordée à "L'Express", le 25.03.20

À rebours de l’ensemble des dirigeants de la planète, les deux chefs d’État veulent prioriser leur économie. Une stratégie à haut risque, notamment pour Trump. Interview accordée à Paul Véronique, de « L’Express », le 25 mars 2020.

Le président américain Donald Trump sert la main de son homologue brésilien Jair Bolsonaro lors d’un dîner à Mar-a-Lago en Floride le 7 mars 2020. Photo : AFP.

Face à la propagation du coronavirus, l’ensemble du monde se claquemure. Avec le confinement de l’Inde mardi, plus de 3 milliards de personnes sont désormais sommées de se cloîtrer chez elles. Si dans les pays les plus touchés, ces mesures ont été imposées pour limiter l’afflux de patients dans des hôpitaux déjà submergés, tous les dirigeants ne font pas le choix du confinement.

Le président américain Donald Trump et son homologue brésilien Jair Bolsonaro ont ainsi fait part mardi de leurs réticences quant à l’imposition de telles mesures. « On peut détruire un pays en le fermant de cette façon », a critiqué le locataire de la Maison Blanche. Une « grave récession ou une dépression » pourraient faire plus de morts que l’épidémie, a-t-il argué sur Fox News, évoquant notamment « des suicides par milliers ». Même chose au Brésil pour le président d’extrême droite Jair Bolsonaro, qui a accusé mardi les médias de répandre « l’hystérie » face à la pandémie.

L’économie avant tout, pour Trump et Bolsonaro

Dans les deux cas, l’argument invoqué est économique. « La cure ne peut pas être pire (de loin) que le problème », a résumé Donald Trump dans un tweet mardi. « L’économie était le principal atout de Donald Trump en vue de la présidentielle de 2020, c’est la raison principale qui explique ses réticences face au confinement », explique à « L’Express » Marie-Cécile Naves, politologue spécialiste des États-Unis, et chercheuse à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). 

D’ailleurs, l’administration Trump n’a pas ménagé ses efforts pour maintenir à flot l’économie américaine. La Maison Blanche et le Sénat américain sont parvenus à un accord dans la nuit de mardi à mercredi, sur un plan gigantesque de relance d’environ 2000 milliards de dollars, faisant décoller les Bourses partout dans le monde. D’après un comptage réalisé par l’Université Johns-Hopkins, 1031 personnes sont mortes des suites du coronavirus aux États-Unis, et plus de 68 000 cas ont été officiellement recensés. Actuellement près de 40% de la population américaine se trouve confinée, les restrictions variant selon les décisions propres à chaque État.

Au Brésil, alors que certains États et municipalités ont aussi imposé confinement et restrictions de déplacement, Jair Bolsonaro a comparé ces mesures à une politique de la « terre brûlée » mardi soir. « Notre vie doit continuer. Les emplois doivent être maintenus », a-t-il martelé. « Il y a une forme de mimétisme chez Jair Bolsonaro par rapport à Donald Trump. Cependant il va souvent beaucoup plus loin que le président américain », décrypte pour L’Express Gaspard Estrada, directeur exécutif de l’Observatoire Politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (OPALC). À cet égard, le président brésilien a estimé pour sa part que son pays devait « revenir à la normalité » face au coronavirus, tandis que Donald Trump table sur une levée « rapide » des restrictions, d’ici mi-avril pour une partie du pays.

Posture de l’homme fort

Mais au-delà de cette prévalence de l’économie face aux risques sanitaires, les deux dirigeants n’ont aussi cessé de minimiser la gravité de l’épidémie. Depuis l’émergence du coronavirus, Trump l’a ainsi plusieurs fois comparé à une simple « grippe », quand Bolsonaro a préféré pousser le bouchon en parlant de « petite grippe ». « Après l’agression au couteau [dont il a été victime lors de la campagne présidentielle en 2018], ce n’est pas une petite grippe qui va me faire tomber », claironnait encore le président brésilien vendredi dernier, alors qu’il avait été suspecté d’être lui-même contaminé.

« Il y a une rhétorique très viriliste vis-à-vis de la maladie chez Trump et Bolsonaro », estime Marie-Cécile Naves. « Ils cherchent tous les deux à maîtriser le récit autour de la pandémie en cours, comme si cela suffisait à maîtriser la situation au-delà des faits. Dans cette logique : en minimisant la crise sanitaire, c’est comme si on en limitait les dégâts ». Reste que sur le plan sanitaire, la propagation du coronavirus sur le sol américain commence à inquiéter sérieusement. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a alerté mardi sur le fait que les États-Unis pourraient devenir le nouvel épicentre mondial de la pandémie, dépassant l’Europe.

Au Brésil, où 2201 cas de coronavirus et 46 décès ont été recensés, la situation n’est pas moins inquiétante. Une part importante de la population de ce pays de 210 millions d’habitants est toujours confrontée à une grande pauvreté et conditions de vie insalubres. « On peut s’attendre à un grand nombre de décès dans la mesure où le Brésil fait déjà face à des difficultés vis-à-vis de son système de santé », prédit sombrement Gaspard Estrada.

Une stratégie risquée

De fait, la posture adoptée par les deux chefs d’État n’est pas sans risque politique. Au Brésil, des concerts de casseroles ont retenti ces dernières semaines dans plusieurs grandes villes du pays comme Rio, Sao Paulo ou Brasília, pour dénoncer la gestion de la crise sanitaire par Jair Bolsonaro. C’est notamment par ce mode d’expression que le peuple brésilien avait accompagné la destitution de la présidente Dilma Rousseff en 2016…

Aux États-Unis, la situation pourrait aussi se tendre pour Donald Trump. Depuis plusieurs jours, Joe Biden, le grand favori des démocrates pour la présidentielle de 2020, ne cesse d’attaquer le milliardaire sur sa gestion de la crise. « Permettez-moi d’être très clair : personne n’est sacrifiable (…) Aucune vie ne vaut la peine d’être perdue pour ajouter un point de plus au Dow Jones [indice boursier] », a-t-il tweeté mercredi, en réaction aux propos du milliardaire sur Fox News.

« La crise du coronavirus est devenue un sujet clé de l’élection présidentielle », estime Marie-Cécile Naves. « Mais la stratégie adoptée par Donald Trump face à l’épidémie est extrêmement risquée pour lui, car la population américaine pourrait être touchée de très près par la maladie. Surtout dans un pays où le système de santé repose sur des assurances privées », affirme-t-elle. Pas sûr que le statu quo tienne très longtemps.