Journal de la campagne américaine #4

Journal de campagne aux Etats-Unis #4, le 19.03.20

Mon journal de la campagne présidentielle américaine se poursuit pendant le confinement, sous forme écrite. En voici le 4e épisode intitulé : « Après le coronavirus, Biden ne pourra pas de contenter de promettre la survie de l’Obamacare ».

 

Question 1 : Sanders, pourtant favori au départ, a été devancé par Biden lors du Super Tuesday et du mini-Super Tuesday, lequel a remporté les trois primaires du 17 mars dernier. Les jeux sont-ils faits ?

La bataille des primaires est quasiment perdue pour Bernie Sander. On voit mal comment la dynamique qui s’est engagée en faveur de Biden avec la primaire de Caroline du Sud, puis confirmée ensuite, État après État, pourrait s’arrêter. Biden vient de remporter les trois États qui étaient en lice le 17 mars : la Floride, l’Illinois et l’Arizona – l’Ohio ayant reporté sa primaire à cause du coronavirus. Sanders doit donc désormais remporter plus de 58 % des votes dans les États restants pour être encore dans la course, avant la convention nationale du parti en juillet. Rien n’est impossible mais l’investiture s’éloigne chaque semaine davantage pour lui. Les rumeurs se multiplient, du reste, sur son abandon de la course aux primaires.

D’une part, le parti est derrière Biden (de plus en plus d’élus démocrates, nationaux ou locaux, le soutiennent publiquement) ; d’autre part, l’électorat démocrate (du moins, celui qui participe aux primaires, donc un électorat engagé, voire militant) est extrêmement motivé pour battre Donald Trump en novembre et, même s’il n’y a pas une adhésion totale au programme de Biden, ce dernier est jugé plus apte à remporter la présidentielle que Sanders. Cela confirme les sondages nationaux depuis plusieurs mois. Comme le disait récemment un journaliste de « The Atlantic » sur CNN : « Les démocrates détestent Trump. Mais ils détestent encore plus ‘Donald Trump in office’ » (au pouvoir). Ils semblent dès lors pressés d’en finir avec cette primaire pour passer aux « choses sérieuses » : attaquer de front le présient-candidat.

De plus, il y a une différence majeure par rapport à 2016 : en 2016, personne ne croyait à la victoire de Trump. Là, on sait qu’il peut être réélu. C’est un facteur motivant pour se déplacer le 3 novembre ; nous verrons si cela se vérifie. Un signe encourageant pour Biden : la participation aux primaires est supérieure à celle d’il y a quatre ans.

Reste à savoir ce que Sanders va monnayer (ou a déjà monnayé) avec Biden, s’il abandonne : il est problable que certaines des idées du candidat « socialiste » vont être reprises par l’ancien vice-président, à la fois pour être sûr d’avoir son soutien dans la bataille contre Trump qui s’annonce, et pour séduire les franges des sympathisants démocrates qui lui manquent encore : les moins de 40 ans et la part des Latinos qui est davantage séduite par Sanders que par lui.

Biden devra notamment avoir un programme beaucoup plus ambitieux sur l’écologie. Pour l’heure, et bien que ces enjeux figurent en bien meilleure place que dans le programme d’Obama de 2012, son projet est timide par rapport au Green New Deal, plébiscité par les nouvelles générations (mais elles ne sont pas les seules).

Mais sinon, cette campagne montre que Biden séduit dans toutes les catégories d’électeurs démocrates : les Noirs, les femmes, les Blancs diplômes du supérieur vivant dans les banlieues résidentielles (électorat absolument clé, notamment chez les électrices), les cols bleus (cruciaux dans les États-pivots de la Rust Belt), etc. Biden, qui, déjà, donne à voir qu’il considère que son adversaire est Trump et non plus Sanders, a annoncé que son colistier serait une colistière. Il a envoyé un message d’unité aux démocrates dans une vidéo, loin de la foule, pour se mettre dans le rôle d’un président.

Question 2 : Que change la crise du coronavirus pour la primaire démocrate ? 

Le coronavirus change deux choses. Tout d’abord, le déroulement de la campagne : plusieurs États (outre l’Ohio : la Louisiane, la Géorgie et le Kentucky, et peut-être d’autres ensuite) ont annoncé vouloir décaler leurs primaires, or elles doivent toutes avoir lieu avant le 9 juin. Donc il faut revoir les modalités de vote (protection des pesonnes, vote à distance, etc.). Les deux candidats ont également mis un terme à leurs meetings publics, ce qui désavantage Bernie Sanders.

Ensuite, sur le programme. Car outre l’environnement où il doit être plus ambitieux, la santé est en train de prendre une place importante dans les débats : Biden ne pourra pas de contenter de promettre de garantir la survie de l’Obamacare. L’épidémie de coronavirus, qui met au jour le fait que le système de santé américain, essentiellement privé, n’est pas adapté à ce type de crise, va indéniablement le pousser à mettre la barre plus à gauche.

Sanders proposait que l’État fédéral dépense 2 000 milliards de dollars, soit 2 000 dollars par foyer américain, le temps que dure la crise. Et sa promesse de mettre en place un système de « Medicare for all » prend aujourd’hui un sens tout particulier. Outre l’investiture, Sanders a aussi l’ambition de pousser un agenda à gauche pour la plateforme (le programme) du parti (cet été) et la campagne législative (le 3 novembre, les Américains votent aussi pour renouveler la Chambre des représentant et un tiers du Sénat) et cela a du sens dans les États fédérés où la population sera particulièrement touchée.

Question 3: Cette pandémie peut-elle jouer en faveur de la campagne de Biden face à Trump ? 

En raison de l’épidémie, cette élection se jouera en grande partie sur le leadership : le futur président doit apparaître comme capable de gérer des crises comme celles que nous vivons aujourd’hui, qu’elles soient sanitaires, environnementales, économiques, etc. Du reste, Biden et Trump ont repris la rhétorique viriliste de la « guerre », utilisée par le président français.

Si l’on parle de leadership en termes de compétence, d’expertise, de sang-froid, de fermeté, Biden a l’expérience, quand il était vice-président d’Obama, de la crise d’Ebola et de la crise financière de 2008 ; cela peut lui servir. Il répète que les électeurs « veulent des résultats », un message pragmatique.

De son côté, après des semaines de déni, puis de minimisation de la pandémie, Trump semble enfin prendre la mesure de ce qui est en train de se passer, même s’il parle de « virus chinois », ce qui ajoute à sa rhétorique xénophobe depuis le départ. Il emploie aussi le terme « ennemi » et dit « nous allons gagner ». Il affirme même « avoir toujours eu conscience que c’était une pandémie », ce qui est peut-être vrai mais dans ce cas, il a menti aux Américains. Il est obsédé par la maîtrise du récit.

Les mesures qui sont prises par la Maison blanche, mais aussi par l’exécutif (notamment le secrétaire au Trésor, Steve Mnuchin) et le Congrès, dans un bi-partisanisme tout à fait exceptionnel, relèvent davantage du soutien à l’économie que de la protection des Américains, en particulier sur le plan de la lutte contre la progression de la maladie. Bien sûr, il y aura la mise à disposition de tests de dépistage gratuits, l’instauration d’un congé maladie de 15 jours pour les salariés des petites entreprises (25 % des Américains n’en bénéficient pas), une augmentation de l’aide alimentaire. Et 1 000 milliards de dollars vont être débloqués au niveau fédéral, dont 500 milliards seront envoyés, sous forme de chèques, à une partie des foyers américains pour faire face au chômage partiel et payer les factures.

Et Trump a annoncé le 18 mars fermer la frontière avec le Canada pour la circulation des personnes. Ce qui préoccupe surtout le président, c’est la chute de la Bourse, jour après jour, ainsi que les perspectives de ralentissement économiques, et de retour du chômage (« peut-être 20 % », selon Mnuchin) qui pourraient être désastreuses pour Trump dans la perspective de sa réélection.

Le président, qui a finalement reconnu que l’épidémie n’était pas « sous contrôle », a recommandé aux citoyens de réduire les contacts inter-personnels pendant deux semaines, mais rien n’est coercitif. Ce sont les États fédérés et les villes, dirigés par des républicains ou des démocrates, qui prennent des mesures de confinement et de fermeture (40 États ont déjà fermé leurs écoles, et les restaurants, bars et casinos font aussi l’objet d’interdictions d’ouverture).

Les enquêtes d’opinion montrent que l’attitude de Trump sur le coronavirus est très polarisante dans la société américaine, puisque 75 % des républicains lui font confiance, contre 8 % des démocrates. Et selon le « Washington Post », 40 % des républicains ne croient pas à la menace de l’épidémie, et 30 % résistent aux mesures de sécurité. Mais ces chiffres pourraient bouger au fur et à mesure que la crise sanitaire prendra de l’ampleur, ce qui ne devrait pas manquer d’arriver, notamment puisque beaucoup refusent les mesures de confinement, précisément. Les États-Unis comptent aujourd’hui près de 7 500 cas confirmés et 115 morts, sur tout leur territoire, mais ce chiffre est sans doute sous-estimé parce que l’administration a beaucoup tardé à mettre en place des tests. Au final, le bilan social, économique et sanitaire risque d’être colossal.