La droite conservatrice s’attaque à l’avortement

Interview pour "L'Humanité", le 6 mars 2020

Interview pour « L’Humanité », le 6 mars 2020. Donald Trump est devenu, en janvier, le premier président américain à participer à la marche annuelle des opposants à l’avortement. Un signal inquiétant, qui fait écho à l’offensive d’une partie de la droite européenne contre ce droit des femmes. Par Samuel Ravier-Regnat.

Washington, 24 janvier 2020. Pour la première fois de l’histoire des États-Unis, un président en exercice participe à la « Marche pour la vie », organisée chaque année depuis 1974 par les adversaires de l’avortement. Devant une foule déchaînée qui ponctue chacune de ses tirades par des hourras bruyants, Donald Trump parle de l’enfant qui grandit, d’amour, de Dieu, et énumère les mesures qu’il a prises contre l’IVG depuis le début de son mandat. «L’enfant à naître n’a jamais eu plus grand défenseur à la Maison-Blanche !» tonne-t-il dans la clameur.

La séquence est éloquente. Elle raconte l’offensive de la droite conservatrice qui menace le droit à l’avortement aux États-Unis et ailleurs dans le monde, que la sociologue Marie-Cécile Naves qualifie de « contre-révolution féministe ». « Dans certains pays, il y a une tentation très forte de réduire l’accès à l’avortement et les droits des femmes en général, observe la directrice de l’Observatoire genre et géopolitique de l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Cela relève d’un projet identitaire de consolidation des valeurs chrétiennes, et d’un mythe selon lequel restreindre l’avortement permettrait de limiter l’immigration, les femmes blanches faisant plus d’enfants. »

Donald Trump a nommé deux juges notoirement anti-avortement

Aux États-Unis, où l’avortement est légal depuis l’arrêt Roe versus Wade rendu par la Cour suprême en 1973, Donald Trump s’est montré un allié précieux des protestants évangéliques et des ultracatholiques, qui constituent le socle de son électorat. Durant son mandat, la clause de conscience permettant aux professionnels de santé de refuser de réaliser certaines opérations en raison de leur foi a été renforcée et plusieurs dizaines de juges conservateurs ont été nommés.

Les États fédérés républicains n’ont pas manqué de s’engouffrer dans la brèche ouverte par le successeur de Barack Obama. En 2019, 17 d’entre eux ont mis en place des mesures restrictives en matière d’avortement, à l’image de l’Alabama où la pratique est désormais prohibée même en cas de viol et où les médecins qui transigent risquent jusqu’à 99 ans de prison. Ces textes sont systématiquement attaqués en justice par les militantes féministes.

Objectif affiché d’une partie de la droite : pousser la procédure jusqu’à la Cour suprême, où Donald Trump a opportunément nommé deux juges notoirement anti-IVG, et obtenir l’annulation de l’arrêt Roe versus Wade. Un tel scénario paraît pour l’heure peu probable. Mais les prochaines semaines apporteront quelques éléments de réponse : la Cour suprême, qui a examiné la loi anti-avortement de Louisiane le 4 mars, doit rendre son avis en juin.

La droite européenne n’est pas en reste. Certes, le reflux n’est pas univoque : l’Irlande, dominée par des partis de centre-droit, a par exemple adopté en 2018 une loi historique légalisant l’avortement. Mais en Pologne ou en Hongrie, les attaques des conservateurs menacent le droit des femmes à disposer de leur corps et inquiètent les observateurs.

«On s’en prend aux droits des femmes quand on veut maintenir un système en place, des privilèges et un pouvoir masculin », accuse Marie-Cécile NavesDernier exemple en date : l’Espagne, où le parti d’extrême droite Vox, résolument antiféministe, est devenu en 2019 la troisième force parlementaire. La formation de Santiago Abascal tiendra son assemblée générale à Madrid les 7 et 8 mars – en même temps que la Journée internationale des droits des femmes.