Quelle place pour les ODD dans la primaire démocrate ? (ID4D, AFD)

Article pour le blog ID4D (Blog de l'AFD), le 3.03.20

La primaire pour l’investiture démocrate aux États-Unis est l’occasion de se pencher sur l’intégration des Objectifs de développement durable (ODD) dans les programmes des principaux candidats. Article publié sur ID4D, le blog de l’Agence française de développement (AFD), le 3 mars 2020.

 

CHARLESTON, SOUTH CAROLINA – FEBRUARY 25: Democratic presidential candidates Sen. Bernie Sanders (I-VT), Sen. Elizabeth Warren (D-MA) (L), and former Vice President Joe Biden (R) participate the Democratic presidential primary debate at the Charleston Gaillard Center on February 25, 2020 in Charleston, South Carolina. Seven candidates qualified for the debate, hosted by CBS News and Congressional Black Caucus Institute, ahead of South Carolinas primary in four days. Win McNamee/Getty Images/AFP

Le président Donald Trump, candidat à sa propre succession, ne fait pas mystère de ses vues sur ces sujets : ses décisions depuis trois ans ont notamment consisté en la dérégulation des mesures de protection de l’environnement prises par son prédécesseur, en des coupes dans les budgets sociaux et de santé pour les plus démunis (Medicaid), sans oublier les régressions en matière d’égalité de genre. Quant à ses discours de campagne, ils annoncent tout simplement que cette politique sera prolongée au-delà de 2020 s’il est réélu. Ses adversaires potentiels, actuellement lancés dans la primaire démocrate, accordent pour leur part une large place aux ODD, et en particulier à l’environnement. Mais la dimension transversale de ces agendas fait encore défaut.

Des plans climat ambitieux chez Bernie Sanders et Elizabeth Warren

Bernie Sanders accorde une forte priorité aux questions environnementales. Dès sa présentation à la Chambre des représentants , en février 2019, par plusieurs nouvelles élues (dont la charismatique Alexandria Ocasio-Cortez), le projet de Green New Deal a été défendu par l’actuel favori de la primaire démocrate. Entre autres préconisations, ce plan propose la fin des émissions de gaz à effet de serre d’ici dix ans et l’abandon des énergies fossiles.

Il envisage aussi une phase de transition pour les employés des secteurs. Soutenu par le mouvement militant Sunrise connu pour ses actions coups de poing sur le climat, Bernie Sanders propose d’investir pas moins de 16 000 milliards de dollars dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et les transports verts. Son plan serait financé par la vente de l’énergie nouvellement produite, mais aussi par des pénalités infligées aux pollueurs et des impôts sur le revenu des personnes occupant les 20 millions de nouveaux emplois verts ainsi créés.

Classée comme Sanders à gauche de l’échiquier démocrate, Elizabeth Warren propose aussi un ambitieux plan en faveur de l’environnement : en adoptant le Green New Deal, la candidate souhaite transformer le système économique américain pour qu’il soit plus égalitaire et « vert ». Cela se traduirait, selon elle, par une décarbonisation progressive, la création de dix millions d’emplois dans les énergies, les infrastructures et les industries renouvelables.

D’ici 2035, la production d’électricité devrait être 100 % propre et renouvelable. Elizabeth Warren entend encourager fiscalement l’usage de véhicules électriques et la construction de bâtiments écologiques, et inciter les agriculteurs à adopter des pratiques professionnelles durables. Elle propose aussi un Blue New Deal pour protéger les océans, les lacs et les rivières. Tout cela occasionnerait 2 000 milliards de dollars de dépenses publiques sur 10 ans et Warren propose que les plus hauts salaires et grandes entreprises mettent la main au portefeuille.

Avant d’annoncer son retrait de la course à l’investiture, le 1er mars, Pete Buttigieg avait fait siens les grands principes du Green New Deal tout en les adaptant. Le jeune candidat envisageait en particulier une économie sans émission de carbone d’ici 2050 et le développement de millions d’emplois verts. À l’instar d’Elizabeth Warren, il se disait favorable à l’instauration d’une taxe carbone et à la remise en œuvre des régulations environnementales adoptées sous Barack Obama, notamment le Clean Power Plan qui limite les émissions de CO2 des centrales thermiques. Pete Buttigieg parlait aussi d’investir en dix ans des centaines de milliards de dollars dans les technologies propres et souhaitait faire des États-Unis le leader mondial de la technologie verte.

Joe Biden et Michael Bloomberg : restaurer le leadership mondial des États-Unis

Comparée à ces programmes, l’ambition de Joe Biden en faveur de l’environnement paraît bien modeste. Si l’ancien vice-président de Barack Obama admet que le dérèglement climatique pose un grave problème de santé publique, d’économie et de sécurité nationale, sa proposition de Clean Energy Revolution semble un peu timide. Dans son projet, le total des investissements publics nationaux atteindrait à peine 1 700 milliard de dollars sur 10 ans. En y ajoutant les investissements privés, ce montant s’élèverait à 5 000 milliards.

Joe Biden, lui aussi, ambitionne de faire des États-Unis un leader mondial en matière d’environnement (« the world’s clean energy superpower »), par exemple par l’exportation d’un modèle – quelque peu imprécis – de création d’emplois qualifiés dans les énergies propres. De son côté, le milliardaire-candidat Michael Bloomberg a comme projet de reconstruire les infrastructures du pays avec des technologies 100 % vertes et de réduire de 50 % la pollution carbone d’ici 2030. Il vise un objectif de zéro carbone d’ici 2050. Pour étayer ses attaques contre Trump, Michael Bloomberg veut lui aussi restaurer le leadership mondial des États-Unis grâce au combat contre la crise climatique. Comme ses concurrents à l’investiture, il prend acte que les plus démunis et les minorités ethniques sont les plus touchés par la pollution des énergies fossiles. Dès lors, il fait de son projet de justice environnementale une priorité nationale.

Sans surprise, la politique étrangère occupe une faible place dans cette campagne présidentielle. Cette année, néanmoins, tous les candidats démocrates souhaitent que les États-Unis réintègrent l’Accord de Paris sur le climat. Sanders promeut une coopération avec la Chine et le Brésil pour réduire les émissions de carbone. Buttigieg proposait pour sa part de faire en sorte que l’armée américaine soit exemplaire en matière environnementale. Tous considèrent que l’écologie est un sujet de sécurité nationale.   Une faible articulation avec les autres ODD Ces programmes écologiques ambitieux tranchent nettement avec la plateforme électorale des démocrates établie lors des primaires de 2016.

Depuis la précédente campagne présidentielle, en effet, la mise au jour scientifique de l’urgence sur les plans du climat et de la biodiversité et les mobilisations fortes et récurrentes des mouvements militants et citoyens ont rendu ces sujets incontournables pour les progressistes aux États-Unis. Il faut y ajouter la volonté de contrer les actions du Président Trump qui relaie, dans ses politiques et par ses nominations, l’idéologie climatosceptique et la méfiance vis-à-vis de la science.

Mais au-delà des discours et des projets, bien réels, manque encore chez les démocrates, l’articulation concrète de l’enjeu climat avec d’autres ODD. Le projet de « Medicare for all » (assurance santé universelle) porté par Sanders et Warren en est un exemple et, chez tous, la baisse du coût des soins et des médicaments, l’investissement dans la petite enfance et l’éducation ou la défense des droits des femmes. Chacune et chacun promettent à leur manière de relier lutte contre les inégalités socio-économiques et « raciales » et défense de l’environnement.

Mais hormis la protection des Native Americans fragilisés par l’exploitation des énergies fossiles, tout cela reste vague. Le projet évoqué par Buttigieg de lancer une banque verte nationale pour financer à hauteur de 250 milliards de dollars des projets au bénéfice des populations défavorisées sera toutefois à suivre à l’avenir. Or, il est important de rappeler que la philosophie du Green New Deal est marquée par la transversalité. Elle fait sienne, en outre, l’ambition de construire un mouvement populaire partant des citoyens.

C’est peut-être depuis ce mouvement potentiel que se structurera un modèle social et économique capable de rompre avec le productivisme, la consommation comme but et mode d’expression, la prédation sur les autres et sur la nature. Autant de principes toujours défendus et mis en actes par le Président actuel, dont les chances d’être réélu en novembre prochain sont loin d’être nulles.