Donald Trump et la suspension de l’immigration

Interview pour LCI, le 21 avril 2020

Suspension de l’immigration : « Donald Trump a perdu du crédit sur l’économie, dès lors il joue à fond la carte identitaire ». Interview réalisée par pour le site de LCI, le 21 avril 2020.

DECRYPTAGE – Le président américain a fait part mardi 21 avril de sa volonté de « suspendre temporairement » l’immigration aux Etats-Unis pour « protéger les emplois » des Américains et lutter contre l’épidémie. Une mesure qui lui permet également de garder un pied dans la course à la Maison Blanche.

Fermer (un peu plus) les frontières pour lutter contre « l’ennemi invisible » que représente le Covid-19 et « protéger les emplois » des Américains. C’est la décision prise mardi 21 avril par Donald Trump, le président américain envisageant de signer un décret pour suspendre « temporairement » l’immigration. Une décision radicale, aux effets incertains et non dénuée d’intérêts électoralistes.

Si le magnat de l’immobilier n’a pas encore dévoilé les contours de ce décret qui – selon le Washington Post– pourrait être signé ces prochaines heures, les chiffres officiels permettent d’ores et déjà de savoir combien de personnes seraient impactées. Le pays ayant déjà suspendu en mars l’octroi de visas, seraient désormais visés ceux demandant un visa d’immigration ou une carte de résident permanent (« green card »). Soit plus d’un million de personnes : durant l’année budgétaire 2019, 462.000 visas d’immigration et près de 577.000 résidences permanentes ont été délivrés selon les chiffres officiels.

« Cette décision de Donald Trump ne protégera pas les emplois américains »

Donald Trump en est convaincu : ce nouveau coup de vis est indispensable pour relancer la machine. Car au moins 22 millions d’Américains ont perdu leur travail en raison des conséquences économiques de la pandémie et des mesures de confinement. Reste à savoir si cela suffira. « Cette décision ne protégera pas les emplois américains », estime pour sa part Marie-Cécile Naves. Jointe par LCI, cette chercheuse à l’Iris et spécialiste des Etats-Unis estime que « l’immigration est utilisée par l’économie américaine pour pallier un manque de main d’œuvre. On peut supposer qu’à la fin de la crise, il y aura une pénurie dans certains secteurs dépendant de l’immigration : agriculture, services à la personne, dans la high-tech… »

Potentiellement contre-productive sur le plan économique, la mesure s’avère en revanche stratégique d’un point de vue politique. La suspension de l’immigration est en effet un thème populaire de longue date chez les partisans de Donald Trump, candidat à sa réélection et bien décidé à marteler une nouvelle fois son slogan « l’Amérique d’abord ». « Donald Trump joue sur deux tableaux pour être réélu, à savoir l’économie et l’identité », appuie Marie-Cécile Naves. « Problème : il a perdu du crédit sur le terrain économique, comme le prouvent les chiffres du chômage, de la croissance et de la bourse. Dès lors, il joue à fond la carte de la thématique identitaire, notamment quand on le voit critiquer le confinement, perçu comme une privation de la liberté. En suspendant l’immigration, celui lui permet de lier ces deux tableaux. Il alimente le fantasme d’une fermeture du pays sur lui-même, comme si cela allait permettre de battre cet ‘ennemi invisible’. »

« Les questions sanitaires ne sont pas son souci »

En suspendant totalement l’immigration, Donald Trump a également pris de court la presse, prévenue par un simple tweet présidentiel. L’occasion pour l’hôte de la Maison Blanche d’alimenter les chaînes d’information, et ainsi occuper le devant de la scène face à son rival démocrate Joe Biden. Le président profite d’ailleurs de ses points presse quasi-quotidiens sur la situation pour s’en prendre régulièrement à son futur adversaire.

Un œil sur l’emploi et la croissance, l’autre sur la course à la Maison Blanche, le président a-t-il perdu de vue les problématiques de santé liées à l’épidémie ? « Il n’est pas du tout tiraillé entre l’économie et les questions sanitaires : ces dernières ne sont pas du tout son souci, estime Marie-Cécile Naves. Il n’a pris aucune mesure de protection de ses citoyens au niveau fédéral : aucun accès facilité aux hôpitaux, aucune extension de MedicAid (ndlr : l’assurance maladie pour les plus démunis), aucune demande de distanciation sociale ou de confinement…. Toutes les mesures de protection sanitaire des citoyens ont été prises par les Etats fédérés. »