Trump, la Chine et l’OMS

Interview pour "Le Soir", le 19.05.20

L’UE et la Chine ont sauvé l’OMS, lâchée par Trump. L’Organisation Mondiale de la Santé, ébranlée par les critiques de Washington sur sa complaisance face à Pékin, a finalement réussi son assemblée générale. Grâce au bon sens et à la persuasion de l’Union européenne. Et à la Chine, décidée à apparaître positivement. Mon interview pour le quotidien belge « Le Soir », le 19 mai 2020, par Véronique Kiesel.

Suivre l’Assemblée mondiale de la santé, c’est observer le monde postaméricain », a tweeté l’ex-Premier ministre suédois Carl Bildt, directeur de l’ECFR, un think tank européen. « Une Chine sûre d’elle et assertive avec une approche stratégique claire. Une Union européenne s’activant pour sauver ce qui reste de la coopération globale. Et des États-Unis perturbateurs, plus acharnés à se battre qu’à combattre le Covid-19. »

Alors que le monde se débat avec la pandémie, les observateurs redoutaient en effet de voir, durant ces deux journées d’AG à distance, l’OMS déchirée par le combat que se livrent, à coups d’accusations et de déclarations vengeresses, les États-Unis et la Chine. Pour bien afficher son dédain, Donald Trump a profité de cette session pour balancer via un tweet une lettre adressée au directeur général, le Dr Tedros : « Si l’OMS ne s’engage pas à des améliorations notables dans un délai de 30 jours, je vais transformer la suspension temporaire du financement envers l’OMS (décidée par Trump en avril, NDLR) en une mesure permanente et reconsidérer notre qualité de membre au sein de l’organisation. »

« Pour Donald Trump, critiquer la gestion du Covid-19 par l’OMS, l’accuser d’avoir fait le jeu de la Chine, c’est une manière de dire que l’OMS et la Chine sont responsables de la crise », explique Marie-Cécile Naves, directrice de recherche à l’Iris. « Il cherche des boucs émissaires pour écarter les critiques sur sa mauvaise gestion de la pandémie. Il cherche à fragiliser la Chine à l’international, mais sa décision pourrait au contraire la renforcer. »

« Cette annonce », poursuit la chercheuse, « s’inscrit par ailleurs dans la droite ligne du rejet des organisations internationales et du multilatéralisme sous toutes ses formes que Donald Trump suit depuis le début de son mandat. Il s’agit d’un message politique adressé à son électorat, réaffirmant que la priorité du président est bien le peuple américain et non la population mondiale. Après l’  America First”, on a l’impression d’être passé à l’“America Only”. On le voit aussi utiliser ici des ressorts classiques chez lui : la menace, l’intimidation, l’exagération (« stopper les financements pour toujours »). »

Si l’administration Trump met cette menace à exécution dans un mois, l’OMS sera privée de 20 % de ses rentrées. « Ce serait évidemment fâcheux, notamment en termes de ressources humaines », souligne Yves Coppieters, professeur de santé publique à l’ULB. « En abandonnant la coopération en matière de santé, l’administration Trump risquerait en réalité de mettre en danger les États-Unis : la pandémie ne s’arrête pas aux frontières ! Dès que les échanges vont reprendre, le virus va continuer à circuler. La seule façon d’agir, c’est de le combattre de façon globale. Cela étant, il est temps que l’OMS retrouve son vrai rôle qui est de surveiller les épidémies en toute transparence, en se basant sur des évidences scientifiques, de donner l’alerte et d’émettre des recommandations claires et transposables : cela n’a pas été le cas au début de cette épidémie. » Face à ce Trump lâcheur, c’est un Xi Jinping impérial qui a annoncé lors de l’AG que Pékin allait donner 2 milliards de dollars pour combattre le virus, déployer médecins et fournitures en Afrique et dans d’autres pays en développement. Cette somme, qui sera dépensée sur deux ans, représente le double de la contribution que Washington versait à l’OMS avant que Trump décide de la geler.

« Soutenir l’OMS, c’est soutenir la coopération internationale et sauver des vies », a proclamé Xi Jinping, glorifiant la Chine en puissance responsable. L’Union européenne, bien décidée à sauver le multilatéralisme, a de son côté remporté une belle victoire : la résolution qu’elle avait présentée a été adoptée à l’unanimité ce mardi alors qu’elle n’éludait aucun problème. Ce texte prévoit notamment de lancer « au plus tôt (…) un processus d’évaluation impartial, indépendant et complet » de l’action internationale engagée face à la pandémie. Il passera au crible « les mesures prises par l’OMS face à la pandémie et leur chronologie ». Pour savoir aussi si elle a été trop complaisante vis-à-vis de Pékin et dégager des leçons pour l’avenir. « Le virus n’a pas de frontières, notre réponse ne doit pas en avoir non plus », ont commenté le haut représentant de l’UE Josep Borrell et la commissaire à la Santé Stella Kyriakides. « Il est important de répondre à la crise via la solidarité et la coopération multilatérale sous la bannière de l’ONU. » Il fallait sauver le soldat OMS. Mission accomplie.