« Le sport ouvrier a été pionnier dans le développement de la pratique sportive féminine ». Nicolas Kssis-Martov est journaliste à « So Foot » et à la Fédération Sportive et Gymnique du Travail (FSGT). Il a publié le 4 juin 2020 l’ouvrage Terrains de jeux, terrains de luttes. Militant-e-s du sport aux éditions de l’Atelier, dans leur nouvelle collection, « Celles et Ceux ». Propos recueillis par Carole Gomez et Marie-Cécile Naves (Observatoire Genre et Géopolitique, IRIS).
1) Quel a été le rôle des femmes (y compris chez les LGBTI) dans la création mais aussi l’influence du sport au sein de l’éducation populaire, et dans l’appui sur le sport pour défendre des idées politiques ?
Il existe deux façons d’aborder le sujet. Il existe tout d’abord le rôle des militantes ou des simples sportives. La vision dominante leur attribue souvent une présence « passive » au sein du sport français. Or elles ont largement contribué à la démocratisation des pratiques sportives, bien sûr auprès des femmes et des jeunes filles, mais également, je cite par exemple dans mon livre le cas de Lise Ricol du coté de Vénissieux, plus largement des milieux populaires. Enfin, des personnalités ont également énormément apporté sur le terrain de la réflexion ou de la formation, que ce soit Jacqueline Marsenach ou une journaliste telle que Jane Renoux. De même, leur importance au sein de la vie associative est souvent ignorée ou mésestimée.
Ensuite, il existe plus largement la problématique du sport féminin et de la féminisation des pratiques qui bouscule en soi l’ordre sportif traditionnel. Le sport ouvrier a très tôt ouvert la voie d’une pratique sportive féminine sur un principe d’égalité, car basée sur la notion d’émancipation et non de performance, avec celle des hommes. La FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail) a largement repris ce combat avec par exemple l’introduction des compétitions féminines de judo ou de lutte, la perche féminine, etc.
Il y eut bien sur des résistances et des échecs comme dans le football, mais même aujourd’hui à travers le foot mixte à Paris ou féminin dans le 93, les choses reprennent petit à petit. Pour ce qui concern » les personnes LGBTI, il s’agit d’abord d’une dynamique sportive associative « importée » via l’inscription de clubs dans les compétitions FSGT par exemple, comme Contrepied en Volley ou les Roucoulettes en handball, ou le Paris Arc-en-ciel. Les liens avec la FSGL (Fédération sportive gaie et lesbienne) sont forts. Mais il demeure une dimension, la plus complexe, celle de la visibilité et la reconnaissance des personnes LGBTI dans les associations locales ou corpo. De ce point de vue, le mur de l’homophobie latente n’est pas tombé.
2) Peut-on parler d’internationale du sport ouvrier ?
Ce fut clairement le cas entre les deux guerres avec l’International rouge des sports et ses Spartakiades ou l’ISOS (Internationale sportive ouvrière socialiste) et ses Olympiades Ouvrières. La FSGT continue d’appartenir depuis 1945 à la CSIT (Confédération sportive internationale travailliste et amateur), au sein de laquelle elle entretient des relations avec de nombreuses structures sœurs comme Shintaren au Japon, par exemple.
Mais c’est surtout à travers certaines actions spécifiques que l’on peut parler du maintien d’une certaine forme d’internationalisme sportif. Citons la lutte contre l’apartheid en Afrique du sud, aux côtés des sportif-v-es non « raciaux » [N.B. : les structures qui, alors, ne s’appuyaient pas sur une séparation « raciale »] ou l’investissement, depuis 1982, dans une forte coopération avec les sportifs et sportives palestinienn-e-s, y compris en faveur de la pratique des jeunes filles, ou désormais dans les camps de réfugiés sarahouis en Algérie.
3) En quoi le sport dans l’éducation populaire, en France et en Europe, est-il pionnier dans la pratique féminine et à la pratique mixte ? Pour autant, dans le sport ouvrier, il est aussi question de construction d’une virilité idéalisée, fortement stéréotypée…
J’ai partiellement déjà répondu mais le sport populaire a fait sauter nombre de verrous, notamment le verrou compétitif, dans de nombreuses disciplines : judo, lutte etc. Aujourd’hui, il mène une action innovante pour la mixité dans le foot ou dans le volley. Néanmoins, oui, le sport ouvrier et populaire n’est évidemment pas épargné par les constructions globales de la masculinité et du sexisme dans notre société. Comme dans le reste du sport, le passage du discours à la réalité d’une véritable déconstruction de ces représentations passe d’abord par la mise en place de pratiques qui permettent, dans l’activité elle-même, de renverser les typologies de genre.
4) Votre récit revient aux origines du sport (français) et permet de voir comment le sport a toujours été éminemment politique. Quels sont pour vous les prochains terrains de jeux/ terrains de lutte ?
Il est difficile de s’essayer à la prospective. Néanmoins, on voit bien que des thématiques fortes qui agitent la société impactent évidemment le sport, qui n’est pas son reflet mais bel et bien un de ses nombreux acteurs, parfois de premier plan. Je pense bien sûr au racisme, au sexisme, à la question des violences sexuelles, mais aussi à la santé ou encore à l’éducation (je songe aux enjeux pour la survie de l’EPS, un des premiers vecteurs d’une culture sportive, en particulier auprès des femmes.
De nouveaux mouvements ont aussi émergé, comme celui des ultras et des supporters de foot qui, si leur discours ou motivations sont pluriels, peuvent de fait avoir leur rôle à jouer. J’ai déjà cité les clubs LGBTI ou encore des formes de pratiques féministes telle que les rollers girls. Loin d’être cloisonnées, souvent les mêmes personnes peuvent être à la fois membres d’une équipe roller girl, d’un club d’escalade populaire et être supportrices du Red Star dans le kop. Une convergence des luttes est possible dans le sport parce que, de fait, elle existe déjà à la base, dans la vie de ceux et celles qui y militent. Et ce n’est pas nouveau, comme j’espère l’avoir illustré dans mon livre.