Trump traverse la pire séquence de son mandat

Interview pour "Le Parisien", le 10.07.20

Covid-19, racisme, brûlots et feuille d’impôts… Trump traverse la pire séquence de son mandat. À moins de quatre mois de l’élection, Donald Trump fait face depuis plusieurs semaines à un enchaînement de péripéties qui impactent sa popularité. Interview pour « Le Parisien » par Nicolas Berrod, publiée le 10 juillet 2020.

Donald Trump lors d’une réunion à a Maison-Blanche, le 9 juillet 2020. AFP/Jim Watson

J-116 et un taux de popularité qui a baissé à 40 %. À moins de quatre mois de l’élection présidentielle américaine, Donald Trump traverse depuis le mois d’avril une séquence politique délicate. En un trimestre, le chef d’Etat a perdu 6 points de popularité dans la synthèse de nombreux sondages effectuée quotidiennement par le site fivethirtyeight.com.

Cette chute a débuté en avril, en pleine pandémie de Covid-19. Alors que sa gestion de crise avait été plutôt saluée en mars, Trump a été rattrapé par l’augmentation progressive du nombre de nouveaux malades et les courbes s’envolant dans de nombreux Etats. Dans le même temps, le président américain a tout fait pour minimiser la crise et limiter les mesures de confinement.

De moins en moins d’indécis

Puis, est survenue la mort de George Floyd, à la suite d’une interpellation par des policiers. Tout au long du mois de juin, des millions d’Américains ont défilé dans de nombreuses villes, sous le slogan « Black Lives Matter ». Une colère que le président n’a jamais cherché à calmer, se posant en diviseur bien plus qu’en rassembleur.

Est alors survenue l’affaire des primes russes qui auraient été versées à des talibans pour tuer des soldats américains. Puis Trump a dû faire face à la sortie du brûlot de son ex-conseiller Bolton, en attendant le livre écrit par sa nièce, à paraître le 14 juillet, dans lequel elle étrille son oncle de président. Ce jeudi enfin, la Cour Suprême a jugé qu’un procureur était en droit d’exiger de Donald Trump d’obtenir sa feuille d’impôts, un sérieux revers judiciaire pour le président. N’en jetez plus!

De l’avis de plusieurs experts, cette séquence est la plus délicate à gérer politiquement pour le président américain depuis le début de son mandat, en janvier 2017. Mais le dossier le plus dangereux, pour Jean-Eric Branaa, maître de conférences à l’université de Paris-II, spécialiste des Etats-Unis, c’est la crise sanitaire : « Le reste ne fera pas bouger les lignes sur le plan électoral car c’est très partisan : concernant les manifestations contre le racisme, par exemple, ceux qui sont de gauche sont très engagés en soutien au mouvement, et ceux qui sont de droite y voient surtout un problème de violence. »

Le politologue en veut pour preuve l’impopularité de Trump, qui, depuis le mois d’avril, a augmenté plus fortement que sa popularité n’a baissé. Mais un autre chiffe crucial est en train de bouger : le pourcentage de sondés se disant indécis a diminué, passant d’environ 5 % à près de 3 %. Sur une population de plus de 300 millions d’habitants, cette évolution peut avoir un important impact dans les urnes le 3 novembre prochain. « Cela prouve que ceux qui ne sont pas traditionnellement encartés dans des partis sont en train de faire leur choix, et le plus souvent en défaveur de Trump », pointe Jean-Eric Branaa.

Un pic d’impopularité en décembre 2017

« J’ai beau chercher, il n’y a rien qui marche pour lui. La différence avec tous les précédents moments compliqués, c’est qu’il pouvait toujours, à juste titre, clamer des résultats économiques vertigineux », souligne de son côté la politologue Nicole Bacharan. Là, en raison de la crise sanitaire, le chômage a explosé. Et Donald Trump perd notamment en soutien dans l’électorat senior, qui se mobilise généralement davantage que la moyenne.

« C’est une séquence très délicate pour lui mais, surtout, qui dure. Cela fait plusieurs semaines que Trump enchaîne les difficultés, à la fois sur des affaires qui le concernent directement, comme la feuille d’impôts, mais aussi sur son incapacité à répondre à la crise sanitaire », renchérit Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Les ennuis n’ont pourtant pas manqué pour Donald Trump depuis le début de son mandat. On se souvient notamment de l’enquête du procureur Mueller sur les soupçons d’ingérence russe, concluant à l’absence d’éléments permettant d’incriminer le président américain ou son équipe de « collusion » avec la Russie. Puis, du procès de Donald Trump en impeachment dans l’affaire ukrainienne, fin 2019.

« Toutes les semaines, on nous annonçait que Trump allait être destitué, mais cela n’avait aucune chance d’arriver [notamment en raison de la majorité républicaine au Sénat, NDLR] », tempère Jean-Eric Branaa, jugeant excessif d’avoir, jusqu’au début du printemps, voulu enterrer Donald Trump. Celui-ci était même tombé à son plus bas taux de popularité en décembre 2017, à la fin de sa première année de mandat, avant de remonter progressivement la pente.

Quelle participation le 3 novembre ?

Mais au vu de la situation actuelle, et de la campagne plutôt réussie du candidat démocrate Joe Biden, le politologue « ne voit pas comment Trump pourrait remonter la pente, à 116 jours de l’élection ». Le président américain est même à la peine pour remplir ses salles de meeting, comme le 20 juin à Tusla. « Ce n’est pas pour autant qu’il a déjà perdu, d’autant que le Parti républicain fait tout pour dissuader les jeunes d’aller voter », nuance Marie-Cécile Naves.

Un dernier facteur pourrait entrer en jeu : si la situation sanitaire reste préoccupante à la rentrée – un nombre record de plus de 65 500 nouveaux cas en 24 heures a été recensé ce jeudi dans tout le pays -, certains Etats pourraient mettre en place et encourager le vote par correspondance afin de limiter les contacts physiques. Sans que l’on puisse en mesurer précisément l’impact sur la participation des différentes catégories d’électeurs.

Le ministre américain de la Justice a d’ores et déjà asséné que « ces pratiques, comme le vote par correspondance, ouvrent les vannes d’une possible fraude ». De nombreux démocrates y ont vu le signe que Trump et son administration cherchaient à décrédibiliser un scrutin dont l’issue s’annonce compliquée pour eux.