La mort de Ruth Bader Ginsburg

Interview pour "Elle", le 22.09.2020

Décryptage : comment la disparition de Ruth Bader Ginsburg bouleverse l’élection présidentielle américaine. Interview pour le magazine « Elle » (web et papier) par Hélène Guinhut, le 22 septembre 2020.

La disparition de l’icône féministe et progressiste Ruth Bader Ginsburg, à 87 ans, le 18 septembre, laisse vacant un siège de juge à la Cour suprême des Etats-Unis et lance la bataille de sa succession. Au point de bouleverser l’élection présidentielle américaine ? L’analyse de Marie-Cécile Naves*, directrice de recherche à l’Iris.

ELLE. En quoi le décès de Ruth Bader Ginsburg représente-t-il un tournant ?

MARIE-CÉCILE NAVES. La Cour suprême a des pouvoirs importants sur les questions de société, que ce soient les droits des femmes, des personnes LGBTQ, la réforme de la santé, le port d’armes… Jusqu’ici, l’institution comptait cinq juges conservateurs et quatre progressistes. Le président de la Cour étant un conservateur qui ne vote pas en fonction de son idéologie, il y avait un certain équilibre. La mort de Ruth Bader Ginsburg remet en cause cet équilibre. Un juge est nommé à vie par le président et cette décision doit être validée par le Sénat. D’où l’urgence actuelle. Sa succession devient un argument de campagne. Pour être réélu, Donald Trump doit donner des gages à la droite évangélique et catholique. Résultat : on ne parle plus du Covid-19, du climat ou de la crise économique, cette succession focalise l’attention.

 

ELLE. Quelles conséquences la nomination d’un juge conservateur pourrait-elle avoir pour les droits des femmes ?

M.-C.N. Des conséquences potentiellement terribles. Depuis une vingtaine d’années, il y a une très forte pression pour affaiblir, voire invalider, l’arrêt Roe v. Wade de 1973 qui garantit le droit à l’avortement. Ce droit est déjà menacé par les deux juges que Donald Trump a nommés. Une Cour suprême conservatrice peut aussi affaiblir l’égalité salariale ou le remboursement des soins de santé, notamment reproductive.

ELLE. L’élection a lieu le 3 novembre, est-il possible de nommer un juge avant cette date ?

M.-C.N. Oui. Donald Trump a d’ailleurs déjà une short list. Surtout, il faut prendre en compte la date du 20 janvier, date à laquelle le président élu entrera en fonction. Les démocrates appellent à un moratoire jusque-là. Dans les usages politiques, prendre des mesures partisanes entre l’élection et l’entrée en fonction du président ne se fait pas, mais Donald Trump se fiche de l’éthique politique.

ELLE. Alexandria Ocasio-Cortez a lancé un appel à la mobilisation. Cette actualité peut-elle remobiliser l’électorat démocrate ?

M-C.N. Je ne suis pas sûre que cela mobilise un électorat éloigné de la politique. En revanche, cela peut décider les indécis, ou les jeunes qui soutenaient Bernie Sanders et n’étaient pas enthousiasmés par Joe Biden. Mais inversement, cela peut aussi galvaniser le camp Trump. En 2016, 16 % des électeurs républicains avaient dit s’être déplacés pour Trump parce qu’il y avait un siège vacant à la Cour Suprême.

* Auteure de « La Démocratie féministe. Réinventer le pouvoir » (éd. Calmann-Lévy). En librairie le 14 octobre.