Violences, racisme, élection : l’Amérique à vif

Invitée de "C dans l'air", le 4.09.20

Le 4 septembre 2020, j’étais invitée dans l’émission « C dans l’air » sur France 5, pour débattre de la situation aux Etats-Unis alors que les manifestations contre le racisme se poursuivent sous fond de violences et de tensions. L’émission était présentée par Axel de Tarlé.

C’est l’article dont tout le monde parle depuis ce matin aux États-Unis. Il faut dire qu’à deux mois de l’élection présidentielle, l’enquête publiée par The Atlantic, un mensuel respecté outre-Atlantique, fait quelques révélations tonitruantes sur les rapports du président américain avec l’armée, notamment sur son aversion à l’égard des blessés de guerre et les cimetières militaires. Un mépris présidentiel qui va très loin, selon le rédacteur en chef du magazine, qui raconte, après avoir recoupé plusieurs témoignages, une anecdote survenue il y a deux ans à Paris.

A l’époque, en 2018, Donald Trump était en France pour commémorer le centenaire de la fin de la Grande Guerre, et il avait annulé au dernier moment une visite au cimetière américain de Château-Thierry dans l’Aisne, officiellement à cause de la pluie qui empêchait l’hélicoptère présidentiel de voler. C’était un faux prétexte d’après The Atlantic : Trump aurait annulé à la dernière minute parce que, première raison, il ne supportait pas l’idée d’être décoiffé par la pluie, et deuxième raison parce qu’il ne voyait pas l’intérêt de rendre hommage aux soldats tombés en 14-18, avec cette phrase prononcée par le président : « les cimetières sont remplis de perdants ».

Toujours selon The Atlantic, Donald Trump aurait également qualifié les 1541 soldats américains morts pendant la bataille du bois Belleau de “crétin”, avant de demander “qui étaient les gentils” pendant ce conflit.

La Maison-Blanche a vigoureusement démenti. Mais ces propos peu respectueux des soldats sont crédibilisés par une saillie de 2016 de Donald Trump. Pendant la campagne présidentielle il s’en était publiquement pris au statut de héros de la guerre du Vietnam du très respecté sénateur républicain John McCain : « C’est un héros parce qu’il a été capturé. J’aime les gens qui ne sont pas capturés ».

Par la suite, le président des États-Unis a exploité sans relâche la puissance symbolique de l’armée des États-Unis mais son attitude depuis son élection vis-à-vis de l’institution militaire a eu un effet délétère sur sa popularité dans les rangs. Or dans un pays qui compte près de 1,4 million de militaires en service actif et plus de 20 millions de vétérans, le poids politique des membres des forces armées n’est pas négligeable.

Alors face à la polémique, le président des États-Unis multiplie les tweets dans lesquels il tresse des colliers de louanges aux anciens combattants qualifiés de ‘HEROS’ (en majuscule) et tente de balayer toute l’enquête de The Atlantic comme une nouvelle « fake news de ces médias démocrates dégoûtants qui mentent sur [son] compte parce qu’ils sont jaloux de [sa] réussite ».

L’article de The Atlantic pourrait-il causer du tort au candidat Trump en vue de sa réélection ? A soixante jours du scrutin, si le candidat démocrate devance le milliardaire républicain dans les sondages, le suspense reste entier à la faveur de scores plus serrés dans les États-clés, qui font et défont les victoires présidentielles aux États-Unis en basculant d’un parti à l’autre. Et cette nouvelle affaire vient un peu plus enflammer la campagne, qui dans sa dernière ligne est déjà particulièrement tendue (violences verbales de part et d’autre).

Dans un pays marqué par la pandémie qui a fait plus de 180 000 morts aux États-Unis, une profonde crise économique et une vague historique de colère contre le racisme, Donald Trump entend se poser en champion de « la loi et l’ordre » et agite le spectre d’une Amérique menacée par les violences d’ »anarchistes » soutenus par Joe Biden.

En déplacement à Kenosha, mardi, le président des États-Unis a ainsi assimilé à du « terrorisme intérieur » les émeutes qui ont secoué cette ville du Wisconsin la semaine dernière, en marge de manifestations antiracistes organisées après que Jacob Blake a été grièvement blessé par les tirs d’un policier. Le candidat démocrate a dénoncé de son côté, jeudi à Kenosha, après avoir rencontré la famille de Jacob Blake, le « racisme sous-jacent » et les violences qui rongent les États-Unis.

Trois mois après la mort de George Floyd, l’affaire Jacob Blake a relancé outre-Atlantique le mouvement anti-raciste et a donné lieu à un mouvement de boycott des compétitions sportives sans précédent dans le pays. Enclenché par l’équipe de basketball des Milwaukee Bucks, qui a boycotté un match et contraint la NBA à reporter plusieurs autres rencontres mercredi, le mouvement s’est propagé à grande vitesse. Annulation de matchs pour protester contre les tirs policiers, marche historique, ouverture de stades comme bureaux de vote… Jamais le monde sportif ne s’était autant immiscé dans une élection présidentielle. Mais les violences ne sont plus tolérées.

Invités :

– Thomas Snegaroff, historien spécialiste des États-Unis

– Pap NDiaye, historien spécialiste des États-Unis et des questions des minorités

Marie-Cécile Naves, politologue spécialiste des États-Unis – Directrice de recherche à l’IRIS

– Charlotte Recoquillon, chercheuse associée à l’Institut français de géopolitique spécialiste des États-Unis

– Duplex à New York : Philippe Corbé, correspondant de RTL aux États-Unis