Le féminisme, un nouveau souffle démocratique

Interview dans "La Montagne", le 29.10.20

Interview dans les journaux du groupe Centre France (« La Montagne », « Le Populaire du Centre », etc.), le 29 octobre 2020 (éditions papier et web), sur mon livre « La démocratie féministe. Réinventer le pouvoir » (Calmann-Lévy, 2020) et sur le féminisme plus globalement.

Droits des femmes encore à conquérir ici, à défendre là, le combat féministe ne finira jamais et ce, d’autant moins qu’il porte, plus largement, le renouveau d’une démocratie trop longtemps confisquée.

«Messieurs, et si nous allions rejoindre les dames à présent ? » Margaret Thatcher ne pouvait mieux résumer son rapport au pouvoir, à rebours des conceptions héritées des luttes féministes.

« Dans les pays où l’entre-soi politique masculin est vu comme un archaïsme, explique Marie-Cécile Naves, directrice de recherche à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques), l’approche du pouvoir est dégenrée. À l’opposé du virilisme revendiqué par les Trump, Bolsonaro, Erdogan ou Poutine, son exercice est moins vertical, moins dominateur, plus coopératif. »

Les luttes féministes, non pas seulement pour accéder au pouvoir mais aussi pour échapper à la domination masculine, en ont transformé la pratique : « Les femmes sont plus à l’écoute parce qu’elles sont bien plus que les hommes élevées et socialisées dans le souci de l’autre. Leur investissement est aussi plus personnel. Leurs luttes passées et présentes se sont nourries de leurs expériences et des avancées des sciences qui ont, notamment, fait prendre conscience de la domination qu’elles subissaient et des enjeux de genre. Des hommes, bien évidemment, ont aussi cette approche. »

Concrètement ? « Aux États-Unis, note la politiste, les “mâles” aujourd’hui au pouvoir ont affaire à une forte contestation venue des rangs du féminisme. Les femmes sont la première opposition à Trump dont on connaît le machisme. Le 21 janvier 2017, au lendemain de son investiture, près de 4 millions de personnes, majoritairement des femmes, ont, à l’appel de la “Women’s March” manifesté dans tout le reste du pays contre sa personne et pour la défense des droits civiques. »

« Mais, insiste la politiste, son électorat ne se résume pas aux milieux populaires blancs galvanisés par ses discours excessifs et prédateurs. Il se recrute aussi dans le monde des affaires, chez les gens aisés, sensibles à la réduction des impôts et à la liberté d’entreprendre. Le vote de novembre sera très sexué. Joe Biden bénéficie, à lire les sondages, d’une avance de 20 à 25 points auprès de l’électorat féminin. Trump a l’avantage auprès de l’électorat masculin, mais dans des proportions bien moindres. »

« La pandémie de Covid-19, poursuit-elle, a vu ce dernier ne témoigner aucune empathie. Or, les femmes sont sensibles à celle-ci parce que ce sont elles qui souvent s’occupent des personnes dépendantes, à commencer par les seniors, dans la sphère privée comme dans la sphère publique, professionnelle. Elles sont aussi, il est vrai, plus soucieuses que les hommes de leur santé. En atteste la crise sanitaire : au-delà des explications biologiques, les hommes sont plus touchés et développent des formes plus graves de Covid-19 parce qu’ils se protègent et se soignent moins. »

Le combat du féminisme est aussi une manière sans cesse renouvelée de s’imposer dans l’espace public : « L’entreprise de mobilisation, comme on dit en sciences sociales, a changé de visage avec des manifestations plus pacifiques, plus inventives, contre lesquelles les pouvoirs en place hésitent parfois à recourir à la force, préférant l’outrance verbale de leur machisme ordinaire à l’instar d’un Loukachenko les enjoignant à retourner dans leur cuisine. En Biélorussie avec Svetlana Tikhanovskaïa pour imposer la démocratie, mais aussi en Algérie, au Liban, au Soudan ou au Chili, pour plus de justice sociale et de droits accordés aux femmes, celles-ci sont aujourd’hui en première ligne. »

« Et si, précise la chercheuse, les jeunes générations semblent plus actives que leurs aînées, c’est sans doute parce que leur présence dans les manifestations est aussi rendue plus visible qu’hier par les médias. Là aussi, les femmes ont fait leur place, notamment grâce aux réseaux sociaux comme on l’a vu avec les printemps arabes. »

Marie-Cécile Naves en est convaincue : une moitié du monde le sauvera, tout entier, de sa perte vers laquelle l’entraînait le patriarcat. « Les luttes féministes étaient en avance, assure-t-elle. Elles le sont encore aujourd’hui. Qu’on pense au mouvement #MeToo, aux luttes pour l’environnement ou contre le racisme et, en conséquence, les nationaux populistes qui accèdent et se maintiennent au pouvoir par la désinformation, des alliances avec l’extrême droite et des mesures rétrogrades. »
« Sensible à la violence, à la domination et aux inégalités de toutes sortes, conclut-elle, l’approche par le féminisme fait écho à la demande citoyenne de participation aux politiques publiques. C’est la réponse attendue à la crise démocratique et environnementale. »