Le 4 décembre 2020, le quotidien belge « Le Soir » a publié le long entretien que je lui ai accordé sur mon livre « La démocratie féministe. Réinventer le pouvoir ». Propos recueillis par Véronique Kiesel qui donne trois étoiles à l’ouvrage.
La démocratie féministe, antithèse de la politique de Trump ?
Les féministes ont été les premières à s’opposer à Trump dès janvier 2017. Dans leur livre « She said », les journalistes du New York Times qui avaient sorti l’affaire Weinstein expliquent que le mouvement |#Me Too a éclaté précisément parce que Trump était au pouvoir, dans un climat de masculinité hégémonique, revendiquant même des violences sexuelles. On a constaté la même chose dans le Brésil de Bolsonaro : il y a eu un regain du militantisme féministe pour contester sa politique. On assiste en fait partout dans le monde à une montée en puissance de la mobilisation féministe. Et elle n’est pas, comme l’explique le sociologue Eric Fassin, organisée par un centre qui serait occidental, avec des branches périphériques sur les autres continents. En Argentine par exemple, le mouvement avait commencé bien avant #Me Too.
On assiste peut-être aux prémices d’une internationale féministe, qui revendique les droits des femmes et des LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres), mais est active aussi sur d’autres sujets d’émancipation et de consolidation de la démocratie, de lutte contre la corruption, contre les dégâts infligés à l’environnement, pour plus de liberté pour tous. Au Chili, il y a eu en 2019 la plus grande mobilisation depuis la fin de la dictature avec un effet d’entraînement auprès d’autres catégories de la population : les femmes défendant le féminisme ont nourri la contestation contre le pouvoir et exigé la réécriture de la Constitution. La revendication de la démocratie féministe est une force politique puissante pour s’opposer aux régimes autoritaires et nationaux-populistes.
Tout le monde a donc à y gagner ?
J’en suis convaincue. Il n’y a pas de démocratie sans féminisme. Si dans une société les droits des femmes sont bafoués, c’est qu’elle n’est pas respectueuse de tous. Au-delà de ça, les combats féministes croisent de plus en plus d’autres types de luttes. Les USA et le Brésil sont des laboratoires d’observation intéressants : on y voit que dans les manifestations pour le climat, contre les violences policières, contre le racisme, contre le libre port d’arme, il y a une nouvelle génération de militants, avec des femmes à l’avant-garde. C’est très frappant : aux USA, c’est un militantisme porté par les femmes noires dans certains Etats-clés qui a fait gagner Joe Biden.
Cela ne fonctionne pas en silos. Il y a une tendance globale, largement portée par le féminisme, à revendiquer un universel plus inclusif, qui progresse aussi grâce aux travaux de recherche : les violences faites à l’environnement, à la biodiversité sont aussi une des facettes des violences de genre. La lutte anti-raciste est croisée avec la lutte féministe : ce ne sont pas uniquement des hommes qui sont victimes du racisme.
Le féminisme prône une transformation globale qui bénéficie à tous. Le combat féministe a toujours été un combat humaniste, contre les violences, pour le progrès des droits humains. Mais, quand il y a 50 ou 100 ans, on parlait d’humanisme, on avait tendance à oublier les femmes en parlant des droits de l’homme, d’universalisme, du progrès humain en général. Si on ne chausse pas les lunettes du genre, il y a des angles morts dans la réflexion et l’action politique, de nombreuses personnes vulnérables sont oubliées. Le féminisme est donc un humanisme plus inclusif et qui n’oublie personne. (…)