« Genre et Covid : comprendre et agir », IRIS, 17/03/21

Le 17 mars (18h30-20h), l’IRIS, en partenariat avec l’ambassade des Etats-Unis en France, organise une conférence en ligne sur les questions d’égalité femmes-hommes et les enjeux de genre dans la compréhension et la gestion de la Covid, à l’échelle internationale.

Intervenantes : Marie-Cécile Naves, Charlotte Recoquillon, chercheuse à l’Institut français de géopolitique et journaliste, Najat Vallaud-Belkacem, directrice France de l’ONG ONE et ancienne ministre. L’animation sera réalisée par Razak Ellafi, consultant sur le numérique en santé, ancien responsable du développement et de la communication de ComPaRe (Communauté de patients pour la recherche, APHP)

Renseignements et inscriptions en cliquant ici.

Les désordres de l’information sur le Covid-19 se sont, partout dans le monde, nourris de récits misogynes et sexués : des attaques contre les chercheuses dans les médias aux critiques d’une « victimisation » des femmes, en passant par la dénégation de la vulnérabilité individuelle et collective (le rejet du port du masque et des mesures de précaution sanitaire devenant un signe de virilité chez certains dirigeants nationaux-populistes, par exemple). Par ailleurs, la pandémie a mis au jour et amplifié nombre d’inégalités : en particulier, hommes et femmes n’ont pas été affectés de la même manière par le Covid-19 et ses conséquences économiques et sociales. Nombre de données scientifiques et gouvernementales disponibles montrent qu’il est indispensable de prendre en compte le critère du genre pour mieux appréhender ces réalités et pour élaborer des politiques publiques plus efficaces.

Lire aussi : Ma note de lecture sur « La société des vulnérables. Leçons féministes d’une crise », de Najat Vallaud-Belkacem et Sandra Laugier (« Tract » Gallimard, 2020), publiée sur l’Observatoire Genre et Géopolitique de l’IRIS, le 21 février 2021.

Ce texte, de la philosophe et professeure des universités Sandra Laugier et de l’ancienne ministre, notamment des Droits des femmes et aujourd’hui directrice France de l’association One, Najat Vallaud-Belkacem, est proposé par l’éditeur comme un « tract », un petit livre qui nous invite à regarder le réel et faire des propositions pour l’améliorer, grâce au prisme du genre. On peut tirer trois enseignements principaux de « La société des vulnérables ».

Premièrement, le Covid-19 a mis au jour que notre existence, au sens littéral, vital, n’est possible que grâce à certains emplois, largement occupés par des femmes, relatifs au « care », au sens où l’a théorisée la chercheuse américaine Joan Tronto, autrement dit : « une espèce d’activité qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir en état, pour préserver et pour réparer notre monde en sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible ». Une démocratie du care serait alors, expliquent les deux autrices, « une société qui reconnaît enfin une valeur économique, politique et sociale au travail du soin, des liens et du service à l’autre ».

Or, la pandémie nous montre, de manière paroxystique, que nous avons besoin de protection et de solidarité. Et les métiers qui y pourvoient sont peu, voire pas valorisés : ils correspondent à un travail féminin, donc historiquement gratuit (et pour cela faiblement rémunéré aujourd’hui), notamment parce qu’il renvoie à des qualités prétendument innées. Sans parler des tâches parentales et domestiques encore plus inégalement partagées dans les couples avec la crise, au désavantage des femmes.

Le deuxième enseignement de « La société des vulnérables », c’est, corrélativement, la place encore plus faible donnée aux femmes dans l’espace public et en particulier médiatique. Mansplaining, persistance à être sûr de soi, à couper la parole… Le « monde d’après » se construit au masculin sur les plateaux de télévision et en « Une » des journaux, et cette construction patriarcale se pense universelle, neutre. Moins sollicitées, moins susceptibles, avec le confinement, de se rendre dans les médias, les expertes ont été fortement victimes de sexisme. Leurs compétences ont, de surcroît, été remises en cause, plus que celles de leurs homologues masculins. Les chercheuses et médecins-chefs Karine Lacombe, Alexandra Calmy et Caroline Samer l’ont analysé dans un article paru en décembre 2020 dans la revue The LancetEt que dire du stupéfiant mansplaining de deux journalistes masculins contre l’épidémiologiste et biostatisticienne Catherine Hill, le 2 février dernier sur LCI ? Que ce sont les hommes qui savent. L’expérience de ces spécialistes, loin d’être isolée, est un indicateur supplémentaire de ce que la pandémie a amplifié les inégalités femmes-hommes dans toutes les catégories sociales.

Or, agissant ainsi ou cautionnant ces pratiques inéquitables, le politique, les médias, la société se privent de regards sur le monde, de compétences, d’expertises. Ce sont d’autres récits que l’on manque. Car les femmes non seulement gèrent le care, mais ont aussi des choses à dire : elles ne sont pas que dans « l’ordinaire des vies ». Mais, pour citer Virginie Despentes, « on leur confisque la narration ».

Partout dans le monde, les femmes sont les grandes perdantes du confinement et du Covid-19. L’INED l’a démontré pour la France. Mais on ne leur donne toujours pas la parole, on ne les écoute pas. Et on ne prend pas en compte les besoins spécifiques qui sont les leurs : violences de la part du conjoint au foyer, déscolarisation et augmentation des mutilations sexuelles et des mariages forcés dans les pays pauvres, basculement plus fréquent dans le chômage, etc. Comme le disent les deux autrices : aujourd’hui, « les réponses conçues sans la contribution des femmes sont des réponses qui oublient les femmes ».

D’où le troisième enseignement : il faut des politiques gender conscious. En effet, « ignorer que l’on vit, aujourd’hui et partout, dans des lieux marqués par l’inégalité de genre, c’est négliger ce qui fait le substrat des catastrophes à venir. C’est aussi négliger des possibilités, dans un environnement changeant, de transformation culturelle profonde permettant de mieux affronter l’avenir ». Pour agir, il faut comprendre et pour comprendre, il faut connaître. Or, « les femmes sont à la fois parmi les indispensables et les vulnérables ».

Et bien sûr, il faut penser cela à l’échelle internationale. Pour les raisons mentionnées ci-dessus, mais aussi, d’une part, parce que les grandes crises que nous vivons sont planétaires et nous concernent toutes et tous et, d’autre part, parce que les migrations et les actions des femmes dans les pays du Sud ont des répercussions directes sur les pays du Nord (et réciproquement). La « fuite du care » (les femmes émigrant vers les pays riches pour occuper des emplois de soin, de garde ou d’aide à domicile), à la fois mise au jour et stoppée par le Covid-19, occasionne, dans les pays d’origine, une pénurie de personnel dans ces domaines. En outre, dans de nombreuses régions du monde, la protection de la nature et de la biodiversité est largement menée par des femmes dans le quotidien et la vie ordinaire, mais aussi dans le militantisme, comme l’ont montré les travaux écoféministes. Sans le travail et l’action des femmes, le monde ne tiendrait pas. Or ce travail et cette action sont minimisés, niés, sous-estimés.

Au final, la pandémie de Covid-19 est une occasion pour remettre du politique dans notre vie collective et rappeler que le féminisme est un outil, un ressort, un ensemble de ressources indispensables en démocratie et ailleurs.