Interview sur les « 100 jours » de Kamala Harris

Interview pour "Elle", le 9.05.21

En pleine « Biden-mania », n’oublions pas le bilan de Kamala Harris. Interview pour « Elle » par Hélène Guinhut, publiée le 9 mai 2021.

En pleine « Biden-mania », n’oublions pas le bilan de Kamala Harris 
Alors que Joe Biden est salué pour son plan de relance au point d’être comparé à Franklin D. Roosevelt, sa vice-présidente semble en retrait. Pourtant, elle a su œuvrer en duo et se distinguer sur des dossiers spécifiques. Bilan de ses premiers mois au pouvoir.
Fin avril, Joe Biden célébrait ses 100 premiers jours à la Maison Blanche. Durant sa campagne, l’image d’un candidat vieillissant et gaffeur, surnommé « Joe l’endormi » par ses adversaires républicains, avait dominé. Aujourd’hui, celle-ci est tout autre. En faisant voter un plan de relance de 1 900 milliards de dollars, il a fait preuve d’un progressisme qui a boosté sa cote de popularité.
« Le plus surprenant, c’est l’ampleur de la réforme qu’il engage et le fait qu’il mette la barre plus à gauche que prévu. Il surprend par son audace », note la politiste spécialiste des Etats-Unis Marie-Cécile Naves*. A ses côtés, Kamala Harris, dont la nomination historique au poste de vice-présidente avait fait la une des médias, apparaît comme un bras droit irréprochable, qui ne cherche pas à attirer la lumière. Pour autant, contrairement à son prédécesseur, elle est loin de jouer un rôle symbolique.
« Mike Pence était la caution évangéliste de Donald Trump. Comme c’est une femme noire d’origine immigrée, on a beaucoup dit qu’elle était le symbole de l’Amérique qui change, mais Mike Pence était bien plus dans un rôle de figuration qu’elle », ajoute la directrice de recherche à l’IRIS.  Surtout, elle bénéficie d’un atout de taille : compte tenu de l’équilibre des forces démocrates et républicaines au Sénat, elle dispose d’un vote décisif qui peut faire basculer la majorité et donc permettre le vote de lois majeures. Une arme qu’elle n’a pas eu à utiliser pour l’adoption du plan de relance, qui a été approuvé par le Sénat début mars à 50 voix contre 49.
Avec Joe Biden, elle forme un véritable duo. Ensemble, ils portent le plan de relance, mesure phare de ce début de mandat pour endiguer la crise économique. « En ce moment, elle fait le VRP de l’American Jobs Plan. C’est à la fois un travail de communication, de pédagogie et de concertation », ajoute Marie-Cécile Naves. Elle apparaît particulièrement investie sur deux thématiques, le développement des transports publics – elle promeut la mobilité verte en affichant notamment l’objectif de 100% de bus scolaires électriques dans le pays – et l’accès à un internet à haut débit dans les zones rurales des Etats-Unis.
Faire en sorte que la question raciale ne soit pas oubliée dans la gestion de la pandémie 
Sur la gestion de la pandémie, elle a aussi su trouver sa place. Dans les premiers mois de la crise sanitaire, en mai 2020, elle avait porté un texte de loi prônant la mise en place d’une « task force » pour mesurer et lutter contre les inégalités ethniques et raciales face à la pandémie. Cette initiative, engagée alors qu’elle était sénatrice, s’est concrétisée en janvier, avec la nomination du Dr. Marcella Nunez-Smith à la tête d’une équipe chargée de garantir l’équité dans l’accès à la santé. « Faire en sorte que les communautés les plus durement touchées par la pandémie aient accès à un vaccin sûr et efficace reste notre priorité », avait alors déclaré Marcella Nunez-Smith au New York Times. Une campagne vaccinale que Kamala Harris a accompagnée en se rendant dans des centres de vaccinations de Chicago, Baltimore ou Jacksonville en Floride. « Il y a chez elle une vraie volonté de mener une politique intersectionelle en allant cibler les populations les plus vulnérables. Elle porte vraiment cette idée qu’une politique « gender-blind » et « color-blind » ne sera pas efficace », assure Marie-Cécile Naves. 
Une loi pour réformer la police
Ex-procureure de Californie régulièrement critiquée pour sa rudesse, la vice-présidente ne pouvait pas faire l’impasse sur les questions de violences policières qui ciblent particulièrement la population noire-américaine. Le 20 avril dernier, à l’occasion du verdict du procès de Derek Chauvin, policier reconnu coupable du meurtre de George Floyd, Joe Biden et Kamala Harris ont appelé la famille de la victime. Lors de ce coup de fil, le 46e Président américain a assuré que le « George Floyd Justice in Policing Act », un projet de loi sur la réforme de la police qui doit encore être validé par le Sénat, serait adopté. « Ce verdict nous rapproche de notre objectif. Mais nous avons encore du travail à faire. Nous devons réformer le système. Cette loi fera en sorte que les forces de l’ordre soient responsables de leurs actes, et rétablira la confiance entre les forces de l’ordre et nos communautés », a de son côté déclaré Kamala Harris dans un discours solennel. Pour Marie-Cécile Naves, qui souligne les discussions constantes entre la Maison Blanche et les représentants de la société civile sur ces enjeux, le président et sa vice-présidente s’illustrent par leur complémentarité : « Sur l’affaire Floyd, Joe Biden a montré son côté empathique et Kamala Harris a plutôt incarné la technicité. »  
La « personne la plus qualifiée » pour gérer la crise migratoire
Après plus de 100 jours au pouvoir, Joe Biden a confié un dossier particulièrement sensible à sa vice-présidente. Début juin, elle effectuera ses premiers déplacements hors des Etats-Unis, en se rendant au Mexique et au Guatemala pour aborder la question de l’immigration. Elle devrait également s’entretenir avec le président Mexicain Andrès Manuel López Obrador cette semaine. Alors que l’opposition s’indigne de l’afflux de migrants à la frontière, Joe Biden a assuré que Kamala Harris était la « personne la plus qualifiée » pour apporter des solutions. Elle a de son côté affirmé son intention de mener une action globale en ciblant les causes « à la racine » de la crise migratoire. Dans une Amérique marquée par les images d’enfants immigrés séparés de leurs parents à la frontière, Kamala Harris sait qu’elle n’a pas le droit à l’erreur.
Marie-Cécile Naves “La démocratie féministe” (Ed. Calmann-Levy)