Le sport, outil d’un féminisme inclusif et universel

Rédaction de l'introduction du livre "Rugby et genre" (Sport et Citoyenneté & Fondation Alice Milliat)

Le livre « Rugby et genre » (bilingue français/anglais), édité par Sport et Citoyenneté et la Fondation Alice Milliat vient de paraître. Réalisé avec le soutien du programme européen Erasmus +, il présente une série de bonnes pratiques dans le monde sur l’utilisation du rugby comme outil d’émancipation des femmes. J’ai eu le plaisir de rédiger l’introduction, que voici.

« Partout sur la planète, les filles et les femmes continuent de figurer parmi les premières victimes des inégalités. De manière structurelle, elles sont pénalisées dans l’accès au droit et aux ressources pour des raisons que la recherche a bien identifiées et documentées. Or, ces inégalités s’accroissent à la faveur des crises sanitaires, environnementales, démocratiques, sociales et économiques qui posent de nouveaux défis aux institutions et aux populations.

Une manière de combattre ces injustices est de décloisonner les savoirs et d’innover dans la gestion collective des problèmes, en s’inspirant de ce qui fonctionne, partout dans le monde. Le cinquième objectif de développement durable de l’Agenda 2030 des Nations Unies, celui qui fait siennes l’égalité des sexes et l’autonomisation des filles et des femmes, offre un cadre multilatéral et transversal fécond pour la réflexion et l’action. La multiplication et la diversification des lieux d’expression et de revendication de l’égalité de genre est ainsi une piste vertueuse. Le sport en fait partie. Et quoi de plus dérangeant pour les stéréotypes de genre et les inégalités et exclusions qui en découlent que de s’appuyer sur une discipline considérée comme un bastion masculin : le rugby ?

Les expériences collectives présentées dans cet ouvrage montrent que rien n’est ni « masculin », ni « féminin » par essence. Elles mettent aussi en évidence la pluralité des usages du concept d’intersectionnalité et des questionnements qu’il porte, en particulier sur un plan épistémologique. Faire émerger les besoins des populations ciblées, dans leur complexité, pour proposer un programme de changement qui accompagne les filles et les femmes exige un savoir-faire précis et élaboré. L’« éthique du care » a démontré l’importance des « liens créés par des gestes minuscules et quotidiens », comme l’a écrit la philosophie Sandra Laugier. S’il est important d’apprendre à apprendre à prendre soin de soi, des autres et de son écosystème, rien, cependant, ne se décrète. Cette éthique n’est ni douce, ni facile. Elle est profondément politique parce qu’elle nourrit des engagements en faveur d’un agenda émancipateur et solidaire pour tous et toutes.

Pas d’émancipation, en effet, sans solidarité. Pour éviter le piège de la mystification néolibérale, il faut en effet refuser l’individualisme caché dans un objectif d’« empowerment » qui ne s’appuierait que sur la volonté et la responsabilité de chacune (et de chacun) pour s’en sortir, aller mieux, retrouver prise avec le monde.

L’émancipation des femmes par le sport a montré sa capacité à créer des répertoires d’action inspirants permettant de formuler de nouveaux plaidoyers : il faut continuer à visibiliser les bonnes pratiques du monde entier, les évaluer, les dupliquer et passer à l’échelle. Le but est bien celui de quitter la marge pour le centre, pour paraphraser la chercheuse et militante bell hooks. Le sport est un langage. Il invite, à sa manière, à contribuer au monde commun, pour soi et pour les autres, ensemble.

Aboutir à l’égalité de genre est un projet de transformation radicale de nos sociétés. Cette exigence de radicalité s’appuie sur des expériences et des savoirs de terrain, et le rugby, dont la pratique s’étend au monde entier, offre de nombreuses potentialités. C’est à cette condition, aussi, que la transformation sera systémique, que la dimension universelle d’un féminisme, non pas apaisé mais inclusif prend tout son sens. Car il s’agit bien de promouvoir de nouvelles valeurs, de créer un ordre social plus égalitaire, plus solidaire, plus soucieux des vulnérabilités des femmes et des hommes, qui révèle aussi leurs forces, leur pouvoir d’influence et valorise leurs interactions. C’est donc pourquoi, comme le dit l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, nous devrions toutes et tous être féministes ».

Le livre est en libre accès ICI.