Biden et la débâcle en Afghanistan

Interview pour "Libération", le 28.08.21

Le 28 août 2021, j’ai accordé une interview à « Libération » sur l’actualité en Afghanistan et la présidence Biden. Propos recueillis par Léa Masseguin.

Pour les Etats-Unis, une débâcle sans fin dans le bourbier afghan. L’attentat-suicide à l’aéroport de Kaboul, jeudi, ébranle la diplomatie américaine, poussée à faire le bilan de vingt ans d’intervention en Afghanistan.

Un tournant. Le «jour le plus sombre de la présidence de Joe Biden», selon la presse américaine qui qualifie ainsi le 26 août, sept mois seulement après l’arrivée du démocrate à la Maison Blanche. Alors que Washington menait déjà un périlleux et controversé retrait d’Afghanistan, les Etats-Unis subissent de plein fouet un nouveau revers dans le pays. A quelques jours du vingtième anniversaire des attentats du 11 Septembre, le double attentat-suicide perpétré par la branche afghane de l’Etat islamique à l’aéroport de Kaboul, jeudi, a coûté la vie à au moins 180 personnes, dont treize soldats américains (selon des sources locales auprès du New York Times). Il s’agit de l’attaque la plus meurtrière contre les forces du Pentagone déployées en Afghanistan depuis dix ans. Et le péril d’une nouvelle explosion subsiste. Vendredi, le Pentagone assurait que l’opération d’évacuation, qui vire à la débâcle, faisait face à des «menaces précises et crédibles».

Le chef de l’Etat avait pourtant justifié sa décision de mettre fin à la plus longue guerre des Etats-Unis pour ne plus sacrifier de vies américaines. Après les explosions, Joe Biden est apparu devant la presse la voix rauque, les larmes aux yeux, mais avec un ton martial : «A ceux qui ont mené cette attaque, ainsi qu’à tous ceux qui souhaitent du mal à l’Amérique, sachez ceci : nous ne pardonnerons pas. Nous n’oublierons pas. Nous allons vous traquer et vous faire payer», a promis le locataire de la Maison Blanche. Il a fait savoir que les évacuations se poursuivront, comme annoncé, jusqu’au 31 août. L’administration affirme avoir déjà évacué plus de 104 000 civils, dont environ 5 000 Américains.

Baisse de popularité de Biden

Contraint de solder un engagement auquel il s’était opposé, Joe Biden peine à convaincre. Sa cote de popularité n’a jamais été aussi basse depuis la fulgurante reconquête du pouvoir par les talibans, balayant deux décennies de présence militaire américaine qui ont coûté plus de 2 400 vies américaines et plus de 2 000 milliards de dollars. Seul un quart des Américains approuvent sa gestion de sortie d’Afghanistan, selon les résultats d’un sondage de NBC News, paru dimanche. «L’engagement militaire des Etats-Unis à l’étranger est très impopulaire dans l’opinion américaine. Le coût financier, humain et psychologique des deux guerres d’Irak, sans parler du fantôme du Vietnam, est énorme, nuance Marie-Cécile Naves, directrice de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Mais l’image du pays se détériore : quelle crédibilité pour un multilatéralisme modéré alors que le retrait des troupes militaires américaines a été décidé unilatéralement ?», s’interroge la spécialiste des Etats-Unis.

Les explosions survenues à Kaboul risquent de ternir un peu plus l’image d’un président qui préférait se consacrer aux questions économiques et à la crise sanitaire. Il a été rattrapé par le péril terroriste. Pour faire face à d’éventuelles attaques, le chef du commandement central américain en charge de l’Afghanistan, Kenneth McKenzie, a dû reconnaître la collaboration entre Washington et les talibans. Ces derniers assurent désormais la sécurité autour de l’aéroport et «nous continuerons à nous coordonner avec eux», a-t-il déclaré. Une humiliation pour les Etats-Unis, contraints de composer avec les nouveaux maîtres de Kaboul, contre lesquels ils s’étaient lancés en guerre en 2001.

« Du sang sur les mains »

Face à la «débâcle», des républicains, qui avaient déjà promis d’enquêter sur le retrait désordonné, sont cinglants : «Est-ce que Biden devrait démissionner ou être démis de ses fonctions pour sa gestion de l’Afghanistan ? Oui», a tweeté Nikki Haley, ancienne ambassadrice aux Nations unies. «Joe Biden a du sang sur les mains», a renchéri la représentante de New York, Elise Stefanik, qui dénonce le «leadership faible et incompétent» du chef de l’Etat. L’ancien président Donald Trump, lui-même à l’initiative de l’accord de paix avec les talibans à Doha en février 2020, a dénoncé une «tragédie qui n’aurait jamais dû avoir lieu». «Joe Biden récolte aussi les fruits de la politique de ses prédécesseurs, la guerre est perdue depuis des années», tempère Marie-Cécile Naves.

Les vingt ans d’intervention américaine au nom de la lutte antiterroriste sonnent l’échec du nation building. «Nous avons envahi l’Afghanistan pour combattre une organisation terroriste, Al-Qaeda, qui nous avait attaqués. Au moment où nous nous retirons, nous voici attaqués par un autre groupe terroriste, Daech, pire qu’Al-Qaeda et qui n’existait pas quand l’invasion a été lancée. Tout ce que la guerre contre le terrorisme nous a apporté, c’est plus de guerres et plus de terrorisme», a commenté le présentateur sur la chaîne d’information MSNBC, Mehdi Hasan. La plus longue guerre des Etats-Unis se termine donc de la même manière qu’elle a commencé : par un attentat terroriste islamiste contre la nation américaine.