Avortement aux Etats-Unis : un droit fragilisé

Interview pour la RTBF, le 2.09.21

Le 2 septembre 2021, j’ai répondu aux questions de la RTBF sur l’accès à l’avortement aux Etats-Unis, suite à la loi texane le limitant drastiquement. Propos recueillis par Catherine Tonero.

C’est un coup sévère contre le droit à l’interruption volontaire de grossesse aux Etats-Unis. Depuis ce 1er septembre, au Texas, l’avortement après six semaines de grossesse est interdit, même en cas de viol ou d’inceste. Signée en mai dernier, la loi est entrée en vigueur malgré un recours déposé en urgence auprès de la Cour Suprême, qui a décidé de ne pas bloquer son application. La plus haute juridiction du pays y avait pourtant consacré le droit des femmes à avorter dans un arrêt aujourd’hui fragilisé.

Décryptage avec Marie-Cécile Naves, directrice de l’Observatoire Genre et Géopolitique à l’Institut de relations internationales et stratégique (IRIS) à Paris, auteure du livre La démocratie féministe.

« Loi du battement du coeur »

Surnommée « loi du battement du coeur », la nouvelle législation texane instaure une quasi-interdiction d’avorter de fait puisque 85% à 90% des avortements interviennent après 6 semaines de grossesse, de nombreuses femmes ignorant encore qu’elles sont enceintes durant cette période. Elle fait du Texas l’un des Etats américains les plus restrictifs en la matière.

Mais c’est sûrement la manière dont cette loi est formulée qui la rend encore plus « perverse » au yeux de ses nombreux détracteurs: « Une loi formulée de telle manière que ce n’est pas aux autorités de la faire respecter mais aux citoyens, encouragés en tant qu’individus à porter plainte au civil contre des organisations ou personnes qui aideraient des femmes à avorter », explique Marie-Cécile Naves, « et c’est sur ce point de procédure que la Cour Suprême a refusé de statuer », refusant parallèlement de suspendre la loi anti-IVG.

Des citoyens encouragés à la délation 

En effet, l’instance, qui ne s’exprimait pas dans cette décision sur la constitutionnalité de la nouvelle loi, a estimé qu’elle posait « des questions de procédures nouvelles et complexes ».

« Cela ne veut pas dire que la décision n’est pas politique, on voit bien qui a voté pour et qui a voté contre », commente la directrice de recherche à l’Institut IRIS faisant allusion à la majorité de juges conservateurs au sein de la Cour Suprême depuis la présidence de Donald Trump, juges ouvertement hostiles à l’avortement. « Ce qui est intéressant, c’est que le président de la Cour John Roberts, qui est un conservateur, a voté avec les trois progressistes. On a donc une décision prise à la majorité de 5 contre 4. Car on sait que le président ne veut pas faire de la Cour Suprême un instrument idéologique », précise-t-elle. 

Tâche d’huile sudiste contre l’avortement ?

Avant le Texas, une dizaine d’autres Etats, dont la Louisiane ou la Géorgie, ont eux aussi voté des lois pour interdire les avortements à partir de six semaines de grossesse. Ces législations ont toutes été invalidées par les tribunaux, parce qu’elles violent la jurisprudence de la Cour Suprême, qui a reconnu un droit à l’avortement tant que le foetus n’est pas viable, soit entre 22 et 24 semaines de grossesse.

Un droit consacré, faute de cadre législatif, dans l’arrêt « Roe V. Wade » rendu en 1973. Depuis, cette décision de la Cour Suprême est systématiquement attaquée par l’aile la plus conservatrice de la classe politique américaine. Et le dispositif inédit de la loi texane que la Cour Suprême n’a pas recalé servira sans doute de précédent.

« C’est intéressant de voir comment l’instauration d’un principe de délation, dans cette loi, est défendue par les mêmes qui à droite aux Etats-Unis reprochent à Joe Biden de diviser l’Amérique », observe Marie-Cécile Naves. 

Prochain épisode au Mississippi

Au-délà des questions de procédures, plusieurs recours déposés devant les tribunaux fédéraux du Texas pourraient obliger la Cour à se prononcer une seconde fois. « On en aura déjà un aperçu d’ici quelques mois dans une autre affaire, car la Cour Suprême doit examiner, sur le fond cette fois, une loi du Mississippi qui interdit l’avortement au-delà de 15 semaines« , ajoute la spécialiste. L’arrêt qui en résultera sera déterminant pour le droit des femmes vivant sur le sol américain à disposer librement de leur corps.

Cela dit, poursuit Marie-Cécile Naves, « on voit mal la Cour Suprême des Etats-Unis, même à une majorité de 6 conservateurs contre 3 progressistes, complètement renverser l’arrêt de 1973. En revanche, l’affaiblir, le fragiliser, en validant de telles lois locales, c’est-à-dire en laissant plus de latitude que par le passé aux Etats fédérés de mettre en place les textes qu’ils veulent ».

Dans le même temps, la spécialiste des Etats-Unis rappelle que de nombreux Etats ont renforcé leur textes pour faciliter l’accès à l’avortement: « c’est le cas par exemple de la Californie ou de l’Etat de New-York. Il y a donc aussi des Etats à majorité démocrate qui, voyant ce qui se passe, renforcent cet accès au droit pour les femmes ».