6 janvier 2021 : où va la démocratie américaine ?

Interview pour "Libération", le 23.07.22.

Enquête sur l’assaut du Capitole : « La démocratie américaine n’a pas dit son dernier mot ». Interview pour « Libération », le 23 juillet 2022. Propos recueillis par Samuel Ravier-Regnat.

Pour la spécialiste des Etats-Unis Marie-Cécile Naves, les auditions de la commission parlementaire sur l’assaut du Capitole témoignent à la fois de la résilience et de la fragilité de la démocratie américaine.

Six semaines après avoir commencé à présenter ses travaux, la commission d’enquête de la Chambre des représentants américaine sur l’assaut du Capitole survenu le 6 janvier 2021 s’est retirée pour une pause estivale, dans la nuit de jeudi à vendredi. Pour Marie-Cécile Naves, spécialiste des Etats-Unis et directrice de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), les huit premières auditions mettent en lumière la tentative de Donald Trump de «détruire les institutions démocratiques du pays». Une attitude qui pourrait avoir des «conséquences durables et sérieuses» sur la démocratie américaine, selon la chercheuse.

Que disent les auditions de la Commission du 6 janvier de l’état de la démocratie américaine ?

Il y a eu une tentative de détruire les institutions démocratiques du pays et de contourner le résultat du vote qui a failli réussir. C’est un legs majeur du trumpisme, dont les conséquences sont solidement ancrées dans la société américaine et plus encore dans la classe politique, car une majorité d’électeurs républicains demeure prête à suivre Donald Trump. L’assaut du Capitole est aussi un moment de banalisation de la violence politique, qui a révélé des tentations fascistes à peine voilées. De l’autre côté, l’épisode du 6 janvier témoigne aussi de la résistance de la démocratie américaine, comme à d’autres périodes agitées de son histoire – je pense par exemple au mouvement pour les droits civiques. L’élection de Joe Biden a été validée, le vice-président Mike Pence et d’autres républicains comme Liz Cheney ont refusé d’aller dans le sens de Donald Trump. Ils tiennent à la Constitution et au respect des règles. Cela montre que la démocratie n’a pas dit son dernier mot, même si cela ne tient qu’à un fil.

Le fait qu’une commission parlementaire soit mise en place, à peine plus d’un an après les événements, n’est-ce pas en soi un signe de vitalité démocratique ?

Absolument. D’autant que la Commission est bipartisane, même si la majorité de ceux qui la composent sont des démocrates. C’est un signe positif. Cependant, les Républicains du Sénat ont refusé de mettre en place leur propre commission et le parti a annoncé son intention de supprimer celle de la Chambre des représentants en cas de victoire lors des élections de mi-mandat, l’automne prochain. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les démocrates veulent aller le plus vite possible.

Les récentes décisions de la Cour suprême ont montré que le trumpisme perdurait dans les institutions américaines. Quelles sont les conséquences durables de la présidence de Donald Trump en matière démocratique ?

Globalement, les quatre années de mandat de Donald Trump ont été des années d’attaques répétées contre la démocratie. Elles ont instauré un climat de polarisation extrême, qui existait déjà auparavant mais a été encouragée par Trump, et de remise en cause des droits civiques, de l’égalité entre les femmes et les hommes et de l’Etat de droit. C’est aussi le règne du mensonge en politique, dont le refus de valider le résultat de l’élection de 2020 constitue une forme de point culminant. Quand Trump déclare que les démocrates ont triché, c’est une façon de décrédibiliser les institutions. C’est limite un appel au chaos. Cette attitude aura très probablement des conséquences durables et sérieuses. Déjà, dans certains Etats, les républicains font passer des lois pour changer les modes de scrutin ou empêcher les minorités d’aller voter. Début juillet, la Cour suprême a accepté d’examiner une loi de Caroline du Nord qui permet aux Assemblées des Etats fédérés et non plus aux tribunaux d’examiner le scrutin et la validation du vote. Cela pourrait accroître encore davantage le risque de politisation. On est dans une dynamique où un certain nombre de responsables politiques républicains sont prêts à remettre en cause les règles les plus élémentaires des processus électoraux.

Quelle est la marge de manœuvre des démocrates pour réformer et renforcer les institutions ?

L’aile gauche du parti démocrate met la pression sur Joe Biden, qu’elle trouve trop centriste et trop prudent. Elle lui demande notamment d’augmenter le nombre de juges à la Cour suprême, ce qui exige un vote du Congrès, où les démocrates disposent d’une très étroite majorité, ou de contester la nomination à la Cour suprême des juges Brett Kavanaugh, Neil Gorsuch et Amy Coney Barrett, qui ont menti au Sénat en s’engageant à ne jamais remettre en cause la jurisprudence Roe v. Wade qui garantissait le droit fédéral à l’avortement. Mais je pense que Joe Biden attend les élections de mi-mandat, dont il espère sortir renforcé, pour agir. C’est un risque, car il pourrait aussi perdre sa majorité.