Le 18 septembre 2022, j’étais invitée par le Festival Empow’Her, à la Cité fertile (Pantin), à participer à une table ronde sur le thème des femmes dans la guerre et les processus de paix.
Le rôle des femmes dans la prévention, la résolution de nombreux conflits, ainsi que dans la mise en œuvre de processus durables de réconciliation demeure largement méconnu de l’opinion publique, aussi bien dans son ampleur que dans ses multiples déclinaisons ou son impact décisif.
Des campagnes au début du XXe siècle du Women’s International League for Peace and Freedom (WILPF) pour le désarmement au mouvement Black Lives Matter créé en 2013 par Patrisse Cullors, Opal Tometi et Alicia Garza, en passant par les « mères de la place de Mai » en Argentine, les femmes s’organisent contre les violences. Sur le terrain – en Asie, Afrique et Amérique latine –, loin des caméras, ce sont plus de 100 000 ONG locales de reconstruction et de réconciliation qui sont aujourd’hui dirigées par des femmes.
La paix, pas plus que la guerre, n’est une affaire d’hommes, comme comme l’a montré par exemple Joan Johnson-Freese dans Women, Peace and Security ». Les femmes n’ont jamais, nulle part, été uniquement des victimes résignées, passives et silencieuses. D’un continent à l’autre, d’une époque à l’autre, leurs entreprises de mobilisation n’ont cessé d’en inspirer d’autres.
Une faible parité dans les organisations et les processus de paix
Les organisations internationales ont compris que la présence des femmes à la table des négociations était une condition de la paix durable. C’est l’enjeu de la résolution 1325 des Nations unies de 2000, qui stipule que « les femmes doivent être mieux représentées dans toutes les institutions […] de résolution des conflits à tous les niveaux de décision ».
L’objectif d’efficacité s’ajoute à celui de justice. La paix suppose en effet qu’aucune catégorie de victimes ne soit oubliée. Or, les conflits affectent les femmes de manière particulière et souvent disproportionnée. De plus, faciliter l’accès des femmes aux postes de pouvoir après les changements de régime permet de se doter d’une plus grande palette d’expertises.
Et pourtant, selon UN Women, 5 % seulement des signataires des traités de paix étaient des femmes et les équipes de médiation ne comportaient que 2 % de femmes entre 1990 et 2017. Mais la dimension quantitative ne suffit pas. Elle est indissociable d’une approche qualitative : l’objectif de parité ne doit pas occulter l’importance que les femmes désignées aient un pouvoir réel de décision, et pas seulement limité aux questions de care.
Les femmes, essentielles sur le terrain
Au-delà du cadre formel, l’engagement et le savoir-faire des actrices de terrain sont tout aussi essentiels, voire décisifs. Soutien aux populations civiles, défense des droits des femmes et des enfants, maintien ou reconstitution du lien social et des institutions, mise en place de partenariats internationaux, lobbying, résistance aux oppresseurs : la gamme de leurs interventions est vaste.
Le combat pour la paix ou l’émancipation a par ailleurs développé des savoirs scientifiques, citoyens et militants de haut niveau, portés en très grande partie par des femmes. On le retrouve notamment dans les women peace studies et la feminist peace research, qui ont pour but la diffusion de ces connaissances et d’éclairer la décision publique et la diplomatie.
Dans le Handbook of Feminist Peace Research, qu’elles ont codirigé en 2021, les chercheuses Tarja Väyrynen, Swati Parashar, Élise Féron et Catia Cecilia Confortini montrent ainsi que la résolution des conflits se joue aussi dans les marges : les violences qui touchent les corps de manières multiples, les catastrophes climatiques, les famines, l’accès à la santé, sont autant de formes de violence « moins spectaculaires mais tout aussi cruciales », par exemple lorsque les filles, auxquelles on n’a pas appris à nager, ne peuvent pas fuir les tsunamis. C’est donc la question de la justice qu’il faut privilégier, d’autant plus que la paix est un processus, et non pas un moment figé, définitif. Loin de signifier la fin des violences, la signature d’un accord de paix n’est souvent qu’une étape.
Aux niveaux local, national et international, les objectifs politiques, économiques et diplomatiques doivent alors intégrer les enjeux de genre (gender conscious). D’une part, pour que les difficultés spécifiques de centaines de millions de filles et de femmes soient vraiment prises en compte : accès aux ressources et aux droits, lutte contre les mariages forcés, les féminicides, les viols, etc. De l’autre, pour mieux cibler l’ensemble des populations vulnérables. L’approche intersectionnelle, aussi appelée inclusive, est donc indispensable, par exemple pour ne pas oublier les populations rurales. Encore une fois, l’agenda et la gouvernance – combattre les entre-soi – vont de pair.
Éviter l’écueil de l’occidentalo-centrisme
Enfin, il importe de ne pas plaquer les modèles occidentaux sur le reste du monde. La diplomatie féministe n’évite pas toujours l’écueil de l’approche postcoloniale, qu’il s’agisse de politiques de développement « descendantes » ou de contradictions dans ces politiques. La prise en compte du contexte est notamment indispensable pour éviter les « retours de bâton » contre les politiques menées par des acteurs internationaux qui ne consultent pas suffisamment les populations sur les questions de genre.
C’est pourquoi il est important de soutenir les actions existantes, menées par des organisations locales de femmes, qui connaissent le terrain, les résistances et les leviers efficaces pour avoir le meilleur impact. Il ne s’agit pas de tomber dans le piège du relativisme culturel, mais d’être au plus près des besoins des populations.
Enfin, des préjugés demeurent quant à la « passivité » des femmes dans certains pays ou régions soumis à un régime d’oppression. Une partie de la couverture médiatique de la situation des Afghanes, depuis le retour au pouvoir des talibans en août 2021, est emblématique à cet égard. Or, les organisations de femmes, formelles et informelles, ont joué un rôle immense dès avant 2001, date de l’intervention des forces américaines contre les talibans.
L’OTAN a pu accompagner, ensuite, leur résistance, surtout dans les grandes villes, mais elle existait auparavant : le rôle d’ONG comme l’Afghan Institute of Learning, présidé par Sakena Yacoobi, qui ont permis la scolarisation clandestine de milliers de filles, en est une illustration. Les réseaux féministes internationaux sont mobilisés pour soutenir de tels dispositifs.
Dans les contextes de sortie des conflits comme de réconciliation, il est donc important de prendre acte des besoins des populations les plus exposées aux violences structurelles, et notamment des femmes, sans négliger pour autant leurs capacités d’action et de résistance aux différentes formes d’oppression.