Midterms (USA) : les associations féministes se mobilisent

Interview pour le JDD, le 12.12.22

Le 12 octobre 2022, j’ai accordé une interview à Cassandre Riverain pour le site du JDD. Un mois avant les élections de mi-mandat aux États-Unis, les associations féministes se mobilisent pour convaincre les électeurs. Avec au coeur de leurs préoccupations le droit à l’avortement. 

 

Samedi, le 8 octobre, à l’occasion de la désormais traditionnelle « Women’s March » aux États-Unis, des milliers de femmes et d’hommes ont défilé dans les rue pour défendre le droit à l’avortement. Trois mois et demi après la décision de la Cour Suprême d’abroger l’arrêt Roe vs. Wade. Un mois pile avant les élections de mi-mandat, qui se tiendront le 8 novembre aux États-Unis.  Et le droit à l’avortement est bel et bien devenu un enjeu de ces élections.

« On le voit à la hausse des inscriptions sur les listes électorales, notamment des femmes », signale Marie-Cécile Naves, directrice de recherche à l’Iris. « C’est un indicateur très fort, sans doute lié à la défense de l’avortement mais aussi aux inégalités sociales, au changement climatique, au racisme, qui fait peur aux républicains. »

Selon une étude du Pew Research Center, en date du 23 août, 56 % des électeurs inscrits déclaraient que la question de l’avortement serait très importante dans leur vote pour les Midterms, contre 43 % en mars.  Un important travail de lobbying  Alors pour inciter au vote, les associations féministes se mobilisent. « Elles sont des relais importants, à la fois dans un travail militant classique – faire des manifestations, du lobbying auprès des élus et des candidats pour qu’ils mettent ce sujet sur leur agenda de campagne, dans leur meeting – mais également pour encourager les gens à s’inscrire et à aller voter », explique l’experte.  Porte-à-porte, démarchage téléphonique, envois d’e-mails, réunions de quartier, ciblages sur Internet…

Les associations organisent ou prennent part à plusieurs événements qui utilisent les outils classiques du militantisme. Ainsi, la Women’s March propose, via des organisations de candidats, de participer bénévolement à des sessions de porte-à-porte et de campagne téléphonique pour prêter main forte au parti démocrate. De suivre des débats pour soutenir des candidats prochoix dans leur campagne pour le Sénat ou encore de marcher, toujours, pour défendre le droit à l’avortement. Et ce, dans plusieurs États des États-Unis.

Au-delà de l’implication militante, l’engagement des associations féministe passe également par l’aspect financier. Pour sensibiliser au droit à l’avortement, « beaucoup d’associations mettent en place des collectes de don pour aider les femmes à voyager pour avorter ou se procurer la pilule abortive », explique Marie-Cécile Naves. Et d’autres soutiennent financièrement des candidats. C’est le cas de la branche politique du Planned Parenthood – l’équivalent du planning familial -, qui a annoncé un investissement de 5 millions de dollars dans les élections en Caroline-Nord, où les résultats des élections seront décisifs pour le droit à l’avortement, selon Associated Press. Dans cet État en effet, les avortements sont légaux jusqu’à 20 semaines.

Mais les Républicains n’étant qu’à 5 sièges de remporter la supermajorité à l’Assemblée générale, le veto du gouverneur démocrate Roy Cooper à des restrictions plus strictes pourrait être fragilisé. Le programme vise ainsi 14 circonscriptions législatives avec l’envoi de publicités ou encore du démarchage. Cet investissement s’inscrit dans une campagne nationale d’investissement de l’association de 50 millions de dollars visant à protéger les droits reproductifs dans neufs États clés. Il s’agit du plus grand programme électoral de l’histoire du Planned Parenthood.

Pour Marie-Cécile Naves, il s’agit à travers ces événements « d’aller chercher toutes les femmes, et pas seulement l’électorat qui est acquis à la cause mais qui hésite à voter ». Lors des élections présidentielle de 2020, 52 % des votants étaient des femmes. Un chiffre qui pourrait changer la donne dans certains États pivots. « Même dans la population qui vote pour les républicains, l’opposition à l’avortement n’est pas aussi forte qu’il y a 15 ans, estime la chercheuse. La population est beaucoup moins clivée sur cette question qu’elle ne l’était. »

Cet engouement des femmes autour des Midterms rappelle le contexte des élections de 2018 durant lesquelles beaucoup d’entre elles s’étaient inscrites sur les listes électorales et surtout s’étaient engagées en politique, dans les partis comme militante ou comme candidate. « Il en avait résulté une mobilisation assez forte et un nombre record de femmes élues au Congrès, indique Marie-Cécile Naves. C’était en réaction à la présidence Trump, un an après Me Too. Il s’agissait vraiment d’une réaction des femmes de l’électorat démocrate mais aussi de l’électorat républicain modéré. »  Selon elle, le mouvement actuel est assez comparable, « précisément à cause de la question de l’avortement ». C’est un indicateur plutôt favorable pour les démocrates, d’autant plus que c’est un enjeu qui a très vite pris une place prioritaire sur l’agenda de ses candidats, jusqu’au plus haut sommet de l’État. Ainsi, dès le 24 juin et la décision de la Cour Suprême, Joe Biden a mentionné le sujet en vue des Midterms.

« Les démocrates sont extrêmement mobilisés sur cette question et en font un enjeu majeur de l’élection tant au niveau national que local », résume Marie-Cécile Naves. « On est encore dans la dynamique de l’élection présidentielle de 2020, qui a suivi celle de 2018, avec toutes les femmes qui se sont démenées pour encourager les gens à aller voter, autour de Stacy Abrahams en Géorgie par exemple, analyse encore la spécialiste. La dynamique féministe qui est là était là en 2018 et a continué à être mobilisée en 2020. On est encore dans ce souffle mais avec plus spécifiquement l’enjeu de l’avortement. » Reste à savoir, si l’engagement militant passera le cap du vote.