Le 19 janvier 2023, j’ai accordé une interview au quotidien belge « Le Soir », pour commenter l’annonce de la démission de Jacinda Ardern de son poste de Première ministre néo-zélandaise. Propos recueillis par Véronique Kiesel.
« Je suis humaine. Nous donnons autant et aussi longtemps que nous le pouvons, et puis c’est le moment. Pour moi, il est arrivé. » C’est par ces mots que la Première ministre de Nouvelle-Zélande Jacinda Ardern a annoncé que, après cinq ans et demi au pouvoir, elle n’avait « plus assez d’énergie » pour continuer son mandat ni mener la bataille pour les prochaines législatives, dans neuf mois. Décodage avec Marie-Cécile Naves, autrice de La démocratie féministe (Calmann-Levy).
Se mettre en retrait après un mandat politique, ce n’est pas très courant. Une pratique à saluer ?
Marie-Cécile Naves : Cela étonne en tout cas : en général, les dirigeants s’accrochent au pouvoir quelles que soient les circonstances. Quand elle dit ne plus avoir assez d’énergie, cela pourrait être interprété comme une marque de faiblesse. Mais il me semble préférable d’y voir une forme de sagesse, notamment quand elle explique qu’occuper un tel poste implique une grande responsabilité, et notamment celle de savoir quand on est la personne adéquate, et quand on ne l’est plus. Elle a aussi expliqué qu’on peut « être gentil mais solide, empathique mais décideur, optimiste mais concentré ». Cela fait écho à la manière dont j’avais parlé d’elle dans mon livre en la qualifiant de leader féministe, avec une manière de gouverner qui n’est ni viriliste, ni au féminin, mais précisément dégenrée. C’est-à-dire qu’elle fait appel à des valeurs de force, de combativité mais sans vouloir le pouvoir à tout prix. C’est intéressant : elle va peut-être faire des émules. Ces derniers temps, on a plutôt vu des leaders essayant de rester président coûte que coûte, comme Trump, Bolsonaro, Orban. Elle estime au contraire que, quand on n’est plus en mesure de bien faire son travail, il vaut mieux le confier à d’autres.
On a vu en Belgique des responsables politiques, la plupart du temps écologistes, choisir, après quelques mandats, de retourner à la « vie civile ». Une façon « moderne » de faire de la politique ?
Ultramoderne en effet, alors que la politique, ce n’est pas censé être un métier ni une carrière, mais bien une fonction provisoire où on met ses compétences au service de l’intérêt général. Or, la tendance globale en démocratie – et je ne parle même pas des régimes autoritaires – c’est plutôt de refuser le principe selon lequel on ne preste pas plus de deux mandats successifs. En France, par exemple, on est habitué à voir les politiciens se maintenir au pouvoir jusqu’à des âges très avancés où ils ne sont plus guère en phase avec la société… Mais il y a aussi des femmes qui, après leurs fonctions politiques, se sont engagées à la tête de grandes organisations, comme Cécile Duflot, chez Oxfam, ou Najat Vallaud Belkacem chez One et France Terre d’Asile : une autre manière de faire de la politique.
En même temps, elle affirme aussi vouloir du temps pour sa fille de 3 ans : « Maman a hâte d’être là quand tu rentreras à l’école »… De quoi heurter certaines féministes ?
Il faut voir la suite, mais je ne pense pas qu’elle va arrêter de travailler : elle aussi va probablement prendre d’autres fonctions dans la vie publique. Elle a par ailleurs dû affronter des oppositions très dures et pas mal de sexisme, comme d’autres femmes politiques. Récemment, un organe de presse a demandé à Sanna Marin, Première ministre finlandaise, si elle était comme Jacinda Ardern. Marin a répondu qu’elles étaient aussi différentes que deux hommes politiques de pays différents !
Que retenez-vous de son mandat, qui a été lourd de drames et de problèmes ?
Il y a d’abord eu la tuerie de 2019 : un suprémaciste blanc a tué 50 personnes dans deux mosquées à Christchurch. Jacinda Ardern a alors refusé d’être dans le registre de la vengeance, du conflit, préférant une riposte politique forte mais rassembleuse : elle a demandé à la population de rendre les armes à feu qui étaient dans les familles, puis fait voter une loi bipartisane pour lutter contre la prolifération de ces armes. Elle a aussi refusé de nommer le terroriste pour le priver de la notoriété qu’il souhaitait. Et appelé à la solidarité vis-à-vis des migrants et des minorités, sans la moindre faiblesse par rapport à l’extrême droite. Plus tard, c’est sa gestion du covid qui a été saluée : là aussi, elle avait associé la population, se montrant empathique, loin du langage guerrier ou d’une manière de gouverner très verticale qu’on a pu voir ailleurs, notamment en France. Elle a aussi mis en avant les 17 objectifs de développement durable pour en faire un fil rouge de sa politique, affirmant sa volonté de voir la Nouvelle Zélande devenir un Etat exemplaire en matière de développement durable en Océanie.