Le 17 février 2023, j’étais l’invitée de Géraldine Mosna-Savoye dans son émission « Sans oser le demander », sur France Culture. L’émission était consacrée à Gloria Steinem, à l’occasion de la réédition de son livre culte, Une révolution intérieure.
1) Gloria Steinem, c’est une icône, c’est un mythe. Une des grandes références féministes mondiales, par-delà les frontières.
Bourdieu qualifiait Sartre d’intellectuel total. On pourrait qualifier Steinem de féministe totale.
En effet : journaliste, essayiste, rédactrice en chef et fondatrice de Ms. Magazine au début des années 1970 (avec l’avocate Dorothy Pitman Hughes, cf. photo le poing levé, relier anti-racisme et féminisme), militante féministe : fondatrice avec Bella Abzug, Betty Fridan et Shirley Chisholm du National Women’s Political Caucus. Elle a co-organisé la Conférence de Houston en 1977 qui a rassemblé 18 000 femmes dans l’ensemble des USA, en lien avec le parti démocrate pour faire remonter les revendications des femmes au niveau politique.
Vie de nomade. Après l’université, elle part en Inde.
2) Précurseure : Très engagée, dès les années 1960, dans le croisement entre l’anti-racisme et le sexisme, et dans l’idée que le féminisme américain devait davantage intégrer les femmes issues des minorités. Parce que l’expérience de la discrimination vécue par les Af-Am était très particulière ET parce qu’elles étaient des modèles dans le sens où elles étaient plus politisées et devaient gagner leur vie (le modèle de la femme au foyer).
3) Le mot d’ordre de Steinem, toute sa vie : Témoigner de ce que vivent les femmes au quotidien, écouter les femmes, partager leurs histoires, promouvoir les communautés d’expériences, les préoccupations sur le terrains, et bien sûr faire avancer les lois en faveur des droits des femmes.
– Sa méthode : sillonner les USA dans les universités, les communautés de quartier, les petites salles des fêtes comme les grandes salles de conférences, les manifestations.
Elle a passé des décennies à sillonner les Etats-Unis. Des discussions qu’elle a animées, des réunions et des manifestations auxquelles elle a participé et des rencontres qu’elle a faites sont nés la plupart de ses livres.
4) Une révolution intérieure : comment favoriser l’estime de soi des femmes (mais aussi des hommes). Le personnel est politique : un ouvrage qui livre des clés pour restaurer l’estime de soi
Réédition espérée depuis longtemps : livre ultra-moderne bien qu’il ait 30 ans. Quand l’ouvrage est sorti au début des années 1990, il a eu du succès mais il a aussi été compris comme un « livre de femme qui s’écoute » et a été beaucoup moqué.
Il faut du temps, dit-elle, pour prendre conscience des obstacles et des barrières rencontrées par les femmes, pour les verbaliser, les exprimer : les agressions sexuelles, l’inégalité des salaires, l’inégalité dans la parentalité. Le regard des autres et de la société peut être très dur, et rend les individus vulnérables.
Les femmes, dit Steinem, demeurent vues comme responsables de ce qui leur arrive : viols, temps partiel, etc.
– Or le féminisme a montré que le privé est politique et que combattre les souffrances intimes sert le combat politique, mais aussi la création artistique et littéraire ; alors que le patriarcat méprise les sujets de l’intime.
« L’estime de soi des femmes peut être mise à mal précisément parce que la société attend qu’elles remplissent tous ces rôles, ou encore que, si l’estime de soi n’était forgée que par le succès, alors il n’y aurait pas autant d’hommes puissants dont l’appétit de réussite est impossible à rassasier, justement parce qu’un vide intérieur ne peut être comblé ».
– Mais ce que montre aussi Steinem c’est qu’inversement, « le politique est personnel ».
– On dit aux femmes que le pouvoir est tout sauf en elles, et aux hommes que tout le pouvoir est en eux.
=> Aller de la marge au centre (bell hooks)
Cela me fait penser au « souci de soi » de Michel Foucault : questionner le rapport à soi, à ses propres valeurs, à sa propre éthique, avant de s’engager.
– Dès lors, l’estime de soi à la Steinem, c’est l’inverse du développement personnel (en tant que ruse néolibérale) qui dépolitise la société.
Le développement personnel dit que le sexisme disparaîtra par la seule volonté des femmes de s’émanciper individuellement. Et il laisse entendre que le féminisme est un « style de vie » ; il n’est pas destiné à être safe et agréable. Le développement personnel parle d’ailleurs de « féminisme apaisé » : quelle horreur !
L’obsession de l’amélioration de soi ne doit pas, cependant, être confondue avec le désir d’apprendre et d’améliorer son rôle dans la société, de s’engager si on le souhaite.
– Pour Steinem, il est vain et risqué de trop séparer la théorie et l’expérience concrète.
Ecouter les femmes : Ela Bhatt en Inde.
– Steinem, comme toujours, parle aussi d’elle, et c’est profondément éclairant : comment des expériences personnelles ont nourri sa réflexion et ses combats. Elle sait écrire pour tout le monde, c’est un texte accessible quand on ne connaît rien au féminisme, et où l’on apprend encore des choses mêmes quand on connaît le féminisme. C’est un talent immense que de pouvoir faire cela.
Non seulement le féminisme est l’affaire de tout le monde, mais ce que les féministes font pour les femmes, cela sert à tout le monde.