« The Light We Carry », le nouveau livre de Michelle Obama, s’appuie sur l’expérience personnelle de son autrice pour nourrir une réflexion sur l’engagement en faveur des autres et de la société en période de crise écologique, socio-économique ou politique. Sur mon blog de Mediapart, le 11 février 2023.
Comme Becoming, paru en 2018 et best-seller international, le nouveau livre de Michelle Obama, intitulé The Light We Carry (Cette lumière en nous en français), s’appuie sur l’expérience personnelle de son autrice pour nourrir une réflexion sur l’engagement en faveur des autres et de la société. La traduction française du sous-titre (S’accomplir en des temps incertains pour Overcoming in Uncertain Times) est trompeuse : The Light We Carry n’est pas un livre de développement personnel au sens où l’entendent les têtes de gondoles et la ruse néolibérale dépolitisante : ce livre est politique. Le terme « Overcoming », qui signifie « Surmonter », « Dépasser », « Triompher », rend compte de l’intention collective et engagée. On pense à la chanson de Joan Baez, We Shall Overcome, hymne du mouvement des droits civiques dans les années 1960.
Le succès planétaire de Becoming et les très impressionnantes conférences que Michelle Obama a données pour le promouvoir (j’ai pour ma part vécu son passage à Bercy comme une séance de media training) ont fait d’elle l’incarnation d’un véritable soft power mondial.
La marque Obama, c’est autant, voire plus Michelle que Barack. Une marque dont le but est de promouvoir l’engagement des jeunes générations en faveur d’une société plus juste, plus équitable, progressiste et solidaire, dans ou hors de la sphère du seul parti démocrate. Et dont le pitch est le suivant : le récit des histoires personnelles de chacune et chacun fonde un pouvoir politique dont vous ne soupçonnez pas la force. Et ce pitch, c’est elle qui le diffuse le mieux : « Your story is your power », tel est son slogan. Savoir « se raconter » : tout le contraire de « se la raconter ».
Ce que dit Michelle Obama, c’est que pour s’engager, il faut avant tout se connaître soi-même. Pour passer du « Je » au « Nous », il est indispensable de bien saisir qui est ce « Je », de questionner ses propres valeurs, sa propre éthique. On pense au « souci de soi » de Michel Foucault : la subjectivité, en tant que rapport à soi, constitue l’engagement politique premier et devient le moyen de sa propre liberté, que l’on met au service de la lutte contre l’ordre établi, contre les oppressions. Se sentir minoritaire et rejetée parce qu’on est différente, savoir que beaucoup vous considèrent illégitime du simple fait de votre naissance, de votre origine, de votre genre, Michelle Obama le connaît intimement depuis l’enfance. L’étiquette raciste et sexiste de la « femme noire en colère » que les républicains lui ont collée pendant la campagne présidentielle de 2008 l’a beaucoup marquée.
Dans l’ouvrage, elle revient par ailleurs longuement sur l’une des phrases qu’elle a prononcées dans un meeting en 2016, et restée célèbre : « When they go low, we go high », sur les attaques (et le projet) de Trump et des trumpistes. Ce n’est pas un simple mantra, abstrait, écrit-elle, bien que cela ait pu être interprété ainsi. C’est, défend-elle, une invitation à agir, à lutter, et à partager les outils de l’action concrète. Ce n’est pas être en retrait du monde, c’est tout le contraire : que faire des blessures et des colères ? Les mettre au service du « mieux » : pour se sentir mieux, et pour faire en sorte que la société, la nation, le monde aillent mieux. C’était le sens de son implication dans la campagne de Joe Biden en 2020, afin d’inciter à l’inscription sur les listes électorales et d’encourager les jeunes à voter.
S’il promeut un storytelling du combat collectif, en particulier pour l’égalité raciale et pour l’égalité entre les femmes et les hommes, The Light We Carry délivre aussi un message de tolérance à propos de soi-même. Face à l’adversité dans les moments de crise (Covid19, trumpisme, etc.), il est humain mais vain de rester pétrifié·e dans la peur et le découragement. Il faut s’avoir s’entourer, écouter son ressenti, rendre grâce à celles et ceux qui nous ont apporté ou nous apportent de la joie, de la bienveillance, qui nous font progresser. Il faut, par exemple, savoir cultiver l’amitié. De petites choses, peut-être, mais de petites choses signifiantes.
Le féminisme a montré que le privé est politique et que se confronter à ses souffrances intimes permet de se forger une combativité qui, ensuite, peut être mise au service des autres. Mais il a également montré, Michelle Obama le rappelle, qu’il est important de faire des pauses dans l’engagement, de ne pas s’épuiser, de ne pas multiplier les combats. L’empowerment de soi est une condition sine qua non de l’empowerment d’autrui. Le livre ne donne aucune leçon. Mais il nous botte un peu les fesses.
Michelle Obama, The Light We Carry, trad. fr. Cette lumière en nous, Flammarion, 2022 (23,90 euros).