Le 5 février 2023, j’étais conviée par la Matinale de France Inter à dresser un portrait de Cerelyn J. Davis, cheffe de la police de Memphis, suite au meurtre de Tyre Nichols. Propos recueillis par Carole Bécard.
Les femmes noires à ce poste sont rarissimes. Une enquête menée en 2021 avait établi que les chefs de police ne comptaient que 9 % de femmes et 14 % de Noirs. Au-delà de la représentativité de la société américaine, Mme Davis est attendue au tournant et son action, précisément, est saluée aujourd’hui.
En effet, après le meurtre de Tyre Nicols elle a réagi très vite en sanctionnant les policiers incriminés dans la vidéo. Elle a insisté sur l’inhumanité de ces hommes. Le ministère public a annoncé poursuivre les policiers pour meurtre au 2nd degré : ce n’est pas un homicide involontaire, c’est un meurtre sans préméditation. C’est plus grave. C’est un homicide volontaire.
Davis a également dit que l’enquête allait se poursuivre pour mettre en lumière d’autres dysfonctionnements au sein de son département, mais elle a insisté sur le fait que tout ceci ne devait pas jeter une ombre sur celles et ceux qui font correctement leur travail dans la police de Memphis.
Cerelyn Davis est connue pour lutter contre le sentiment de toute puissance de la police locale et son travail de terrain. Elle est particulièrement scrutée parce que c’est une femme et parce qu’elle est noire. Une femme au pouvoir peut tout à fait être ferme. Ce n’est pas un leadership « au féminin ».
En 2021, elle avait créé l’unité spéciale qui devait, je cite, « rétablir la paix » dans les quartiers à forte criminalité. Les cinq policiers mis en cause aujourd’hui faisaient partie de cette unité. Cerelyn Davis l’a dissoute. Parce que, visiblement, cela ne suffisait pas.
Avant de venir à Memphis, elle avait appartenu pendant plus de 25 ans à la police d’Atlanta. Le sujet du racisme et des préjugés, elle connaît.
En 2020, elle avait appelé à une réforme de la police après le meurtre de George Floyd. Elle était allée plaider au Sénat l’établissement de relations étroites entre la police et les communautés locales, une modification de la protection juridique des policiers, la création d’un registre national des plaintes contre la police, l’interdiction de l’étranglement et des agissements disproportionnés, mais aussi des mesures pour contraindre les agents de police témoins de violences policières à agir.
C’est la philosophie du PJL dit « George Floyd Justice in Policing Act ». Mais le texte est bloqué au Congrès depuis deux ans faute de majorité de 60 sénateurs. Et la police, aux USA, est gérée localement.
C’est une femme connue pour ses engagements depuis longtemps en faveur de l’ordre, mais dans le respect des communautés. « Les communautés ne nous feront jamais confiance si nous ne traitons pas les agents de police comme nous traitons les citoyens lorsqu’ils commettent des actes flagrants », a-t-elle déjà dit.
Les États-Unis sont un pays qui ne parvient pas à endiguer les violences policières. Près de 1 200 personnes ont été tuée en 2022. La police US est surarmée, équipée de façon militaire, depuis les attentats du 11 septembre. La police de Memphis avait œuvré pour endiguer le phénomène, mais «les réformes proposées sont d’ordre pro-police : mieux équiper, donner plus de ressources… Elles n’ont aucune visée de prévention », comme l’a montré ma collègue Charlotte Recoquillon.