Pour Marie-Cécile Naves, politologue et spécialiste des États-Unis, la démarche juridique d’interdiction de la pilule abortive prononcée le 7 avril par un juge texan ne profite pas au camp républicain. L’administration Biden a annoncé jeudi 13 avril qu’elle allait saisir la Cour suprême américaine afin de contester les restrictions supplémentaires à l’avortement. Propos recueillis par Mathys Vallée, le 14/04/2023.
La Croix : Dans quel contexte cette attaque contre la pilule abortive intervient-elle ?
Marie-Cécile Naves : Les opposants à l’avortement aux États-Unis, notamment dans les franges les plus militantes, ne veulent pas se contenter de l’arrêt de la Cour suprême de juin 2022, qui laisse aux États fédérés la possibilité de légiférer. Ils veulent aller plus loin et l’interdire, in fine, sur l’ensemble du territoire américain. Les juristes spécialistes de cette question avaient déjà pointé cette dynamique dès les semaines qui suivirent l’arrêt de 2022.
Le combat entre les « pro-vie » et les « pro-choix » se joue-t-il sur d’autres terrains que celui de la pilule abortive ?
M.-C. N. : La pilule abortive figure parmi l’un des chantiers, mais on en compte d’autres. Une loi adoptée par le Parlement de Floride et signée par le gouverneur de cet État, Ron DeSantis, vient d’interdire les avortements au-delà de six semaines de grossesse.
D’autres projets de loi dans certains États visent à criminaliser l’avortement, en faisant reconnaître l’embryon et le fœtus comme une personne dotée de droits. En Caroline du Sud par exemple, un projet de loi en cours envisage la mise en place de la peine de mort pour celles qui auraient recours à l’avortement. Reconnaître l’embryon comme une personne prendra plus de temps que la bataille de la pilule abortive, mais cette dynamique existe.
Le gouvernement Biden a saisi la Cour suprême, après la décision de la cour d’appel de Louisiane, mercredi 12 avril, autorisant un accès temporairement restreint à la pilule abortive. À quoi peut-on s’attendre ?
M.-C. N. : La Cour suprême, saisie en urgence par le gouvernement, aura pour rôle de trancher sur le fond comme sur la procédure, et tout est possible. Cela crée un contexte d’incertitude, de peur, et d’infox.
Je pense que le but du gouvernement est de rappeler le droit et de clarifier la situation. En effet, la décision de la cour d’appel du cinquième circuit (qui siège en Louisiane, mais traite aussi des affaires texanes) ne tranche pas sur le fond, mais traite de la légitimité des plaignants devant le juge du Texas. Elle ne remet pas entièrement en cause la décision du juge, elle interroge la volonté qu’il a de suspendre la pilule abortive.
Cette décision confirme l’homologation initiale et le régime de délivrance de la mifépristone par l’Agence américaine du médicament (FDA). Mais elle crée un peu plus le doute sur la référence au Comstock Act, une loi obsolète de 1873 à laquelle le juge texan se réfère pour remettre en cause l’envoi de la pilule abortive par voie postale. Si la FDA reste libre de ses procédures d’accréditation et de distribution de la mifépristone, car ses prérogatives relèvent de la loi fédérale, les associations de défense du droit à l’avortement en appellent à l’abrogation de du Comstock Act.
Y a-t-il un profit politique à tirer de ce bras de fer judiciaire ?
M.-C. N. : Les démocrates défendent la liberté et les droits des femmes. Les républicains sont beaucoup plus embarrassés. Quelques voix s’élèvent pour critiquer la décision, mais la plupart d’entre elles sont relativement silencieuses.
Les plus fortes oppositions, outre les féministes, viennent des laboratoires pharmaceutiques et du monde de la biotech. Car si la FDA voit ses prérogatives remises en cause, la boîte de pandore est ouverte pour le faire avec tout type de médicaments. C’est leur liberté d’entreprise qui risque d’être mise à mal. Il y a un enjeu de liberté civique et économique, et de respect des scientifiques.
Par ailleurs, il est très probable que les mouvements féministes se mobilisent, en particulier chez les jeunes générations. Les contestations se joueront dans la rue mais aussi sur les réseaux sociaux, à travers des pétitions, du lobbying politique…
Il faut rappeler que la restriction drastique de l’accès à l’avortement n’est pas une manœuvre payante électoralement pour les républicains. Cela leur a largement coûté les Midterms de novembre dernier, et cela vient de leur coûter un siège décisif dans la Cour suprême du Wisconsin.