La participation de Donald Trump à l’émission de CNN, le 10 mai 2023, montre avant tout que l’ancien président-candidat refuse le débat démocratique et cherche à imposer ses mensonges et sa violence. Nouveau post sur mon blog de Mediapart, publié le 14 mai 2023.
Beaucoup a été dit sur l’émission de CNN consacrée à Donald Trump, le 10 mai dernier. La chaîne a-t-elle eu raison de l’inviter ? N’était-ce pas avant tout une tribune pour lui ? CNN, qui avait, depuis l’élection de 2016, tiré les leçons de sa complaisance avec Trump avant qu’il ne remporte le scrutin, aurait-elle viré de bord pour faire de l’audience ? Mais peut-on faire comme si le candidat favori des républicains à la présidentielle de 2024 n’existait pas ?
Il me semble que le problème doive être posé ainsi : dans quelles conditions organise-t-on une émission de télévision avec Donald Trump ? Comment l’interroge-t-on ? Or, Kaitlan Collins est une journaliste aguerrie, qui a couvert la Maison blanche pendant les années Trump, et qui le connaît bien. « Il est actuellement en tête chez les républicains, tout en étant confronté à de multiples enquêtes criminelles et une mise en examen », a-t-elle commencé. C’est factuel.
Tout au long de l’émission, elle s’est efforcée de mettre l’ancien président-candidat devant ses contradictions, de lui demander des explications, de le pousser dans ses retranchements. Un exemple parmi d’autres : « l’élection de 2020 n’était pas truquée, vous ne pouvez pas continuer à dire ça toute la soirée. » Mais si.
Collins a terminé en demandant à Trump s’il accepterait les résultats de la présidentielle de 2024, quels qu’ils soient. Ce à quoi il a répondu qu’il le ferait si c’était un scrutin honnête, ce qui revient à dire, comme en 2020, uniquement s’il la gagne. « OK donc pas d’engagement à accepter le résultat, ou à reconnaître ce qui s’est passé en 2020 », dit alors Collins, huée par la salle. Par la suite, le présentateur de CNN Jake Tapper a insisté sur le fait que Trump n’avait cessé de mentir, dès le début de la soirée.
De fait, malgré tous les efforts de Collins, Trump a refusé le format du débat argumenté, répétant inlassablement ses mensonges et menaces, qualifiant Collins de « méchante » précisément parce qu’elle n’entrait pas dans son jeu. « Vous ne connaissez pas le sujet », puis, s’adressant à la salle : « elle ne comprend pas ». Pour Trump, les femmes qui le challengent, remettent en cause ses mensonges, l’attaquent en justice parce qu’il les a violées doivent être remises à leur place et insultées. À propos du 6 janvier 2021, il a une nouvelle fois dit de Nancy Pelosi, dont le bureau a été pillé et saccagé ce jour-là, qu’elle était « folle ». Ces jours derniers, il avait qualifié de « folle » et « malade » E. Jean Carroll qui a gagné son procès au civil contre lui pour agression sexuelle et diffamation.
Le principal enseignement de cette soirée sur CNN est une confirmation : il n’est pas possible de mettre en place un débat avec Trump, tout simplement parce qu’il le refuse. Il rejette toute forme de dialogue, de conversation. Seul compte pour lui d’imposer sa diatribe, et elle tient en trois points : 1) Je suis persécuté, c’est bien la preuve que j’ai raison ; 2) Je prendrai ma revanche (sur Biden, les médias, l’establishment, les féministes etc.) : 3) Je suis le seul à sauver l’Amérique de sa décadence et je le ferai par un agenda et un style fascistes.
Masculinisme et refus du débat démocratique vont de pair
Un homme figé dans le passé et le ressentiment, obsédé par le contrôle et la toute-puissance, guidé par un sentiment d’impunité, tel est Donald Trump. Non seulement c’est un misogyne, mais il incarne plus largement un pouvoir masculiniste, sur le fond comme dans la forme : sentiment d’impunité en matière de violences sexuelles, conviction qu’il a toujours raison et qu’il a droit à ses privilèges. Il estime que, pas plus qu’il n’a à rendre des comptes en matière d’agressions sexuelles, il n’en a dans ses décisions et actions politiques. L’incitation à la violence le 6 janvier 2021 – qualifié par Trump de « jour merveilleux » avec « des gens super », les militant·e·s d’extrême droite, qu’il entend gracier s’il est réélu –, la rétention d’informations classifiées à Mar-a-Lago, les manœuvres pour renverser les résultats du vote en novembre 2020 en Géorgie, les fraudes pendant sa campagne de 2016 (cf. l’affaire Stormy Daniels) – sans parler des malversations fiscales quand il dirigeait la Trump Organization et pour lesquelles il a déjà été condamné et encourt d’autres sanctions… Il estime qu’il y a droit. Il est au-dessus des lois.
Trump ne répond pas aux questions mais parle, encore et encore, uniquement des sujets qu’il choisit et de la manière qu’il a choisie. Il impose le récit et les conditions de le raconter. L’autrice Roxane Gay estime que « les medias n’ont pas les outils pour gérer le retour de Donald Trump ».
Le gros problème de la soirée était les huées, les rires et les applaudissements de ses supporters dans la salle, comme dans un show de téléréalité ou plutôt, comme le notent Shane Goldmacher et Maggie Haberman dans le New York Times, « comme un rire enregistré dans un sitcom ». Alors que c’est la réalité : celle d’un néo-fascisme en passe, une nouvelle fois, de prendre le pouvoir.