En Iowa, Trump écrase ses concurrents

Interview dans la PQR du groupe EBRA, le 15.01.24

J’ai accordé aux quotidiens régionaux du groupe EBRA une interview sur le caucus de l’Iowa, qui a vu la victoire de Trump sur DeSantis et Haley, par 51% des suffrages. Parution dans l’édition du 15 janvier 2024.

 

Election présidentielle américaine de 2024

Marie-Cécile Naves : « Il peut se passer beaucoup de choses en 10 mois »

Directrice de recherche à l’IRIS, elle chronique la campagne américaine pour L’Obs.

Pourquoi cette élection 2024 est particulièrement inédite et intéressante selon vous ? 

Cette élection est bien partie pour être le remake de 2020. Coté Trump, c’est marqué par l’idée de la revanche pour ne pas dire de la vengeance. L’élection va être aussi intéressante à suivre pour voir si la démocratie résiste aux attaques qui lui sont faites. Il peut aussi se passer beaucoup de choses en 10 mois, on n’est pas à l’abris de certaines surprises.

 

Pourquoi le caucus républicain de l’Iowa ce lundi est si scruté ?

C’est surtout parce que c’est le premier. Politiquement, c’est un tout petit Etat qui ne donnera que 40 délégués pour la convention du parti, donc ce n’est pas décisif. C’est un caucus républicain, et n’y a pas d’enjeu côté démocrate. C’est intéressant d’observer l’Iowa mais cela ne nous dira pas comment l’Amérique va voter. L’électorat y est très blanc, les évangélistes ont beaucoup de poids… cela donnera une tendance pour les primaires des autres États mais pas plus. C’est donc surtout symbolique et médiatique. Donald Trump est un peu inquiet de la participation au caucus lundi puisque des températures de -20 degrés sont annoncées. Seuls les plus motivés iront voter. On rappelle que c’est un vote des militants, pas de la population générale.

 

Côté démocrate, y a-t-il tout de même un peu de suspense sur le candidat ou Biden est acquis ?

Non, il n’y a pas de suspense. Bien sûr, il peut se retirer pour différentes raisons. Et on ne connaît pas tous les candidats, il y a toujours des gens en embuscade en cas de retrait.

 

Peut-on imaginer Trump ne pas emporter la primaire républicaine ou se retirer en cas de condamnation ?

Même s’il est condamné, ou mis en prison, Donald Trump ne se retirera pas de la course. Il ne faut pas attendre cela de lui. Le cas Trump occasionne des situations complètement inédites dans le droit américain. Jamais il ne se retirera de sa propre initiative. Et on voit mal le parti l’écarter s’il est loin en tête dans les intentions de vote. S’il n’est pas choisi lors de la primaire, ce qui est tout de même une possibilité, il ne laissera pas les choses se faire naturellement, il ne soutiendra pas les autres. On attend une décision importante de la Cour suprême pour l’ensemble du pays quant à son aptitude à se présenter. Mais il peut aussi décider de se présenter en tant que candidat indépendant.

 

Nikki Haley et Ron DeSantis ont-ils de la marge pour conquérir l’électorat républicain ?

En l’état actuel des choses, on voit mal comment Trump pourrait être battu. Haley commence à être donnée devant DeSantis. Le retrait de Chris Christie va sans doute l’avantager dans le New Hampshire et en Caroline du sud. Nikki Haley est quelqu’un d’intéressant à suivre, qui enregistre une bonne dynamique de campagne, notamment chez les républicains modérés. Si elle remporte un des caucus, ce serait déjà une première pour une femme dans une primaire républicaine.

 

A quoi ressemble le soutien à Trump aujourd’hui par rapport à 2020 ?

Trump dispose d’une base militante fervente de 30 % qui le soutiendra quoi qu’il lui arrive. C’est un électorat extrêmement engagé. Du côté du parti, la page Trump n’a jamais été tournée, ce qui est assez stupéfiant quand on y pense après son rôle dans l’insurrection du 6 janvier, les attaques contre les institutions, sa fascination pour les dictateurs, les affaires de corruption et de viol… Pendant un temps, cela s’expliquait par la peur ou par défaut, mais aujourd’hui c’est plutôt de la résignation. Cela prouve un très grand savoir-faire de la part de Trump pour faire un hold-up sur ce parti créé par Abraham Lincoln. Cependant, dans l’électorat général, en 2022, tous les candidats trumpistes ont perdu et récit de l’élection volée n’a pas pris dans la population. En 2024, ce sera une élection générale, et pas seulement une élection côté républicain.

 

Peut-on parler d’une plus grande polarisation de l’électorat américain que lors des dernières décennies ?

Donald Trump a réussi à faire en sorte qu’une partie importante de l’électorat considère qu’il n’a pas jouer de rôle décisif dans le 6 janvier, qu’il s’agissait d’une opération du FBI. De plus en plus d’élus à la chambre adhèrent au complotisme. Il a réussi à infuser un certain nombre d’idées, notamment que la société américaine est décadente à cause des démocrates. L’électorat est aujourd’hui très polarisé politiquement, c’est une dynamique qui a émergé à la fin des années 1990. Dans l’Amérique de Trump, ce mouvement s’est amplifié car il a soufflé sur les braises. Et ce n’est pas retombé après trois ans de présidence Biden. Cependant, une grande partie des Américains est lasse des invectives et aspirent à une société pacifiée. On n’en parle pas assez.

 

Quel peut être le poids des candidats indépendants lors de cette élection ?

Comme l’élection va se jouer à quelques Etats fédérés, peut-être à quelques dizaines de milliers de voix près dans les « Swing states », ça peut avoir une incidence importante, comme en 2016 avec Clinton. S’ils sont présents en Géorgie, Michigan, Pennsylvanie, Caroline du Sud, ils pourront nuire aux gros candidats. Mais ce sera marginal au niveau national en nombre de voix. Dans cette élection, il ne faut pas raisonner au niveau national.