Les enjeux de l’impeachment contre Biden

Chronique dans "L'Obs", le 20.12.23

A moins d’un an de l’élection présidentielle, les républicains s’efforcent de lier président Biden au business et au passé sulfureux de son fils Hunter. Bien que le dossier soit vide, sa récupération politique ne fait que commencer. Ma nouvelle chronique dans « L’Obs », publiée le 20 décembre 2023.

Le fils de Joe Biden, âgé de 53 ans, n’a jamais nié, en effet, ses problèmes passés d’addiction – qui lui valent aujourd’hui des poursuites pour détention illégale d’une arme à feu – et surtout d’évasion et de fraude fiscales (1,4 million de dollars non versés au fisc entre 2016 et 2019) alors qu’il menait un train de vie luxueux. Il risque deux procès. Ce passé sulfureux lui a valu le qualificatif ironique de « fils que Donald Trump n’a jamais eu » de la part de l’animateur de télévision Jimmy Kimmel.

Mais ce qu’Hunter Biden dément aujourd’hui avec force, ce sont les accusations à l’encontre de son père portées par les élus républicains de la Chambre des Représentants, qui viennent à l’unanimité de voter l’ouverture d’une procédure de destitution. Ils reprochent à Joe Biden d’avoir facilité, par sa position et ses réseaux, lorsqu’il était vice-président de Barack Obama (de 2009 à 2017), le business de son fils en Chine et en Ukraine (conseil juridique, lobbying, participation à des conseils de direction d’entreprises, notamment dans le secteur gazier, etc.). Ils estiment également que l’actuel président des Etats-Unis s’est enrichi grâce à ces affaires et notamment qu’il a touché des pots-de-vin ukrainiens.

La Maison-Blanche déplore ce qu’elle nomme une « combine politique » des républicains. Hunter Biden se dit prêt à exposer les faits, mais refuse d’être entendu à huis clos par les parlementaires ; il veut une audience publique.

Les républicains avaient commencé, hors de tout cadre formel, leurs investigations il y a près d’un an. La procédure de mise en accusation leur permet d’accélérer le calendrier et d’enquêter plus en profondeur sur la famille Biden. Ils le feront tout le temps que durera la campagne présidentielle, pour fragiliser le président, candidat à sa réélection en novembre 2024.

Et ce, même si, comme c’est hautement probable, l’impeachment ne sera pas voté par le Sénat, à majorité démocrate. La Chambre des Représentants, désormais trumpisée et dirigée depuis fin octobre par l’extrémiste Mike Johnson, est un organe politique, pas judiciaire. L’appréciation de ce qui est « impeachable » lui revient.

De fait, ce qui compte, ce n’est pas ce qu’il y a dans le dossier contre Joe Biden (il est vide), mais le récit qui en est fait. Ce qui est en jeu, c’est l’instrumentalisation politique du business et de la vie du fils – presque – prodigue, Hunter.

Cette récupération a trois objectifs : d’une part, en entretenant la confusion entre les comportements à scandale et potentiellement délictueux de son fils et les siens, laisser entendre que Joe Biden est malhonnête ; d’autre part, minimiser les deux procédures d’impeachment contre Trump (qui, elles, reposaient, on le sait, sur des accusations extrêmement graves et solides) ; enfin, faire oublier les « affaires » et les 91 chefs d’inculpation visant l’ancien président et les procès qui l’attendent dès les premiers mois de 2024.

Cette stratégie fonctionne, en partie, en dehors de l’électorat démocrate, tant l’opinion publique est politiquement polarisée. Ainsi, un sondage effectué en octobre par The Associated Press et le NORC Center for Public Affairs Research, relayé par le « Washington Post », indique que 35 % des adultes américains croient que Joe Biden a agi illégalement dans les affaires de son fils, et 30 % qu’il n’a rien fait de mal.

De plus et surtout, une majorité d’Américaines et d’Américains se disent aujourd’hui opposés à une destitution de Biden. Les chiffres étaient – pour ses propres procédures d’impeachment – et sont – pour les inculpations en cours – bien moins favorables pour Trump. Les républicains doivent le garder en tête.

Selon l’élu républicain du Kentucky James Comer, qui dirige la commission de surveillance à la Chambre, « la corruption est à son plus haut niveau » dans la famille Biden. Avec Jim Jordan, élu de l’Ohio à la tête la commission judiciaire, ils supervisent l’enquête parlementaire tout en la feuilletonnant. Il leur faudra tenir en haleine l’opinion, épisode après épisode, et pour cela, ils ont besoin de nouveaux éléments en continu. Ou bien ils les inventeront, avec un Donald Trump qui, tel un mauvais génie dictant sa loi, leur parle dans l’oreillette.