Après l’IVG, la PMA s’invite dans la campagne américaine

Chronique pour "L'Obs", le 27.02.24

L’offensive de la droite conservatrice contre la procréation médicalement assistée (PMA) sème le trouble chez les républicains. Les démocrates imputent à Donald Trump la responsabilité de ce recul. Chronique pour « L’Obs », publiée le 27 février 2024.

La récente décision de la Cour suprême de l’Alabama de considérer les embryons congelés, à des fins de fécondation in vitro (FIV), comme des « enfants à naître » constitue un nouvel épisode de la campagne présidentielle (et législative) outre-Atlantique. Trois couples avaient porté plainte après la destruction accidentelle de leurs embryons dans une clinique de cet Etat du Sud des Etats-Unis pratiquant des FIV. A l’issue de cette bataille judiciaire, la Cour suprême de l’Alabama s’est appuyée sur une loi relative aux décès d’enfants mineurs pour inclure à cette définition, donc, les embryons.

Cette décision ouvre la voie non seulement à l’interdiction de la destruction des embryons congelés non utilisés dans une procréation médicalement assistée (PMA), au prétexte qu’il s’agit de « personnes humaines », dotées de droits, et donc à la criminalisation des femmes qui recourent à une PMA et du corps médical, mais aussi à l’impossibilité de pratiquer des recherches sur l’embryon, ce qui constituerait une régression scientifique majeure.

Confusion chez les républicains

La confusion s’est emparée du camp républicain, qui n’ignore pas que la fécondation in vitro fait l’objet d’un soutien quasi unanime dans la population, y compris dans l’électorat de droite, qui y a lui-même recours pour pallier les problèmes, croissants, d’infertilité. L’ancien vice-président, Mike Pence, farouche adversaire de l’avortement, a lui-même dit avoir bénéficié de la PMA avec son épouse et laissé entendre que ses trois enfants étaient nés ainsi. A Washington, le parti demande à ses candidates et candidats au Sénat (renouvelé en partie le 5 novembre) de défendre la FIV par voie législative. Il en va de même en Alabama.

Depuis l’arrêt Dobbs de la Cour suprême des Etats-Unis, qui, en juin 2022, a déconstitutionnalisé le droit à l’avortement, on en arrive à une situation où le moindre progrès en matière de santé gynécologique, voire de santé tout court, doit être protégé par la loi pour contrer la folie d’une minorité extrémiste, tentée par la théocratie.

Cela n’empêche pas les divisions chez les républicains, qui s’étalent au grand jour. Nikki Haley, la concurrente de Donald Trump dans la course à l’investiture républicaine, qui vient de perdre la primaire de Caroline du Sud, a tenté le pari d’une surenchère avec son rival pour séduire l’électorat le plus conservateur. Elle a en effet approuvé la décision de la Cour suprême de l’Alabama.

Après plusieurs jours d’hésitation, Trump a pris le contrepied de son adversaire en demandant au législateur de cet Etat d’« agir rapidement » pour protéger les fécondations in vitro, appelant à ce que l’accès aux FIV reste légal dans l’ensemble des Etats fédérés. L’ancien président sait que le sujet est explosif : après des fuites faisant état de son engagement, en privé, devant des groupes extrémistes, à faire voter une loi fédérale restreignant l’avortement s’il revenait à la Maison-Blanche, il devait redresser la barre.

Mais le mal est fait : l’image perdure d’un Parti républicain rétrograde, misogyne et traversé par des velléités de porter atteinte à des libertés fondamentales. Cette image lui a coûté très cher électoralement, elle explique notamment en grande partie ses mauvais résultats aux dernières élections de mi-mandat de novembre 2022.

Responsabilité de Trump

Ce que les juristes et nombre d’observatrices et d’observateurs avaient souligné dès l’arrêt Dobbs en juin 2022, c’est que ce dernier n’était pas une fin mais un début. Pour les adversaires les plus farouches de l’avortement, la déconstitutionnalisation de ce droit est bien sûr une grande victoire, mais elle devrait pouvoir se prolonger par l’interdiction pure et simple de la contraception et de toute forme de PMA.

Avec l’idée, même si elle peut prendre des années, voire, comme dans le cas du renversement de Roe v. Wade par Dobbs, des décennies pour être actée par la Cour suprême du pays, que la vie commence dès la conception. Et toutes les conséquences potentielles en matière de poursuites pénales pour les femmes qui avortent (ou font une fausse couche), mais aussi les médecins, les cliniques et hôpitaux, les personnels de soin, les accompagnants (dont les conjoints), etc.

Les démocrates boivent du petit-lait. Ils n’ont pas tardé à réagir. Joe Biden a multiplié les messages pour défendre les droits des femmes et des couples soucieux d’avoir un enfant par PMA et redire la responsabilité de Trump qui a nommé trois juges ultraconservateurs à la Cour suprême. Alexandria Ocasio-Cortez, Hillary Clinton et bien d’autres ne disent pas autre chose sur les réseaux sociaux ou en interview.

« Le peuple de l’Alabama a déclaré que la politique de cet Etat est que la vie humaine à naître est sacrée », note dans son jugement le juge Jay Mitchell, en référence à l’interdiction de l’avortement dans l’Etat. Ajoutant, entre autres références bibliques : « Nous estimons que chaque être humain, dès la conception, est fait à l’image de Dieu. »Un Dieu parfois bien encombrant, quand il s’agit de politique.