PASSIONS AMÉRICAINES. Selon qu’ils s’informent dans la presse écrite ou sur les réseaux sociaux, les électeurs sont enclins à choisir Biden plutôt que Trump. A cinq mois du scrutin, la campagne présidentielle américaine est plus que jamais une guerre de l’information. Chronique publiée dans « Le Nouvel Obs », le 19 juin 2024.
Depuis sa condamnation par un jury populaire de New York dans l’affaire Stormy Daniels, le 30 mai, Donald Trumps’efforce par tous les moyens de tourner le verdict à son avantage. Le lendemain, depuis la Trump Tower, il s’est livré, devant la presse, à une diatribe longue et confuse sur ses thèmes de prédilection (l’immigration, le fait qu’il soit selon lui persécuté par la justice et les démocrates, la décadence de l’Amérique, etc.) et il a prétendu avoir levé plus de 50 millions de dollars (46 millions d’euros) de dons en vingt-quatre heures – c’est à ce stade invérifiable, et du reste une partie de cet argent devrait servir à payer ses avocats.
En d’autres termes, il fait feu de tout bois pour, d’une part, occuper l’espace médiatique et, de l’autre, le saturer du récit, maintes fois déployé, d’un Trump jamais longtemps à terre et toujours capable de combattre l’adversité. Cette stratégie, superflue auprès de sa base fervente, aura-t-elle un effet sur un électorat hésitant à voter ou peu enthousiaste à choisir Trump avant même qu’il n’ait acquis le statut de délinquant ?
La réponse à cette question vaut de l’or. On est passé de l’hypothèse d’une condamnation à une condamnation pour de vrai, et il est très difficile de dire à quel point cela peut influer sur l’opinion publique. Mais une ligne a été franchie.
Trump, qui a échappé à deux impeachments pendant son mandat et qui ne devrait pas avoir à répondre devant la justice avant le scrutin du 5 novembre de son rôle dans l’insurrection du 6 janvier 2021 et de sa tentative de trucage de l’élection présidentielle de 2020 en Géorgie, s’est cette fois fracassé contre le mur de la justice pénale, qui plus est face à un jury populaire unanime. Dans une élection qui s’annonce serrée et qui devrait se décider encore une fois dans quelques États-clés, tout ce qui se joue à la marge peut être fatal à chacun des deux prétendants à la Maison-Blanche.
Hommes peu diplômés
Le problème de Trump, ce n’est donc pas celles et ceux qui le soutiennent déjà ou qui s’accommodent de sa candidature parce qu’il promet, par exemple, de baisser les impôts. Ils lui sont acquis quoi qu’il arrive, mais ils ne lui suffiront pas pour l’emporter. Son défi, c’est de donner raison aux sondages disant qu’il est susceptible de séduire une partie de celles et ceux qui ne se déplacent pas à chaque scrutin ou qui penchent du côté démocrate aux élections locales mais reprochent à Joe Biden la persistance de l’inflation et ses effets sur leur vie quotidienne.
C’est dans ces segments, notamment chez les plus jeunes et dans certains sous-groupes des minorités ethniques (en particulier les hommes peu diplômés), que Trump connaît une progression dans certaines enquêtes d’opinion. Mais ce soutien est fragile : ces citoyens, volatils, pourraient finalement voter Biden ou s’abstenir. Et dans l’électorat certain d’aller voter et qui a voté pour lui il y a quatre ans, le démocrate dispose d’un avantage stable et susceptible de s’accroître à la faveur du verdict du 30 mai.Le rapport à l’information et aux types de sources d’information, qui sont plus ou moins fiables, est un autre marqueur fort des intentions de vote. Un sondage récent de NBC News indique ainsi que 15 % des électrices et électeurs interrogés ne suivent pas les informations politiques. Et parmi eux, ils sont plus nombreux à soutenir Trump (53 %) que Biden (27 %). A contrario, 54 % disent suivre cette actualité régulièrement à la télévision ou dans les journaux, et Biden bénéficie auprès d’eux d’une avance de 11 points sur Trump (52 % contre 41 %). Parmi ceux qui lisent la presse écrite, l’écart est colossal puisqu’il atteint 49 points en faveur de Biden (70 % contre 21 %).
Si l’on s’informe sur YouTube et Google, c’est à l’avantage de Trump (55 % contre 39 %).
Même chose, mais dans une moindre mesure, sur les réseaux sociaux (46 % pour Trump contre 42 % pour Biden). Voilà pourquoi Trump insiste sur le récit d’un procès prétendument truqué : il s’agit pour lui de marteler une « fake news » de plus et de la marteler pendant des mois, pour marquer jusqu’au bout les esprits via les supports médiatiques les plus propices (Trump vient ainsi de créer un compte TikTok).
Trump, « Criminel condamné »
Cette campagne est, pour beaucoup, et sans doute à un niveau inédit, une guerre de l’information vraie contre l’information fausse, pour ne pas dire mensongère. Voilà aussi pourquoi, de leur côté, des élus démocrates poussent Biden à exploiter au maximum la condamnation au pénal de l’ancien président, laquelle est, rappelons-le, sans précédent dans l’histoire du pays. Il s’agirait alors de qualifier ouvertement Trump, et de manière répétée, jusqu’en novembre, de « criminel condamné ».
S’il est impossible, dans un paysage informationnel fragmenté comme jamais, de dire quelles en seront les conséquences dans les urnes, les violentes attaques de Trump, mais aussi du Parti républicain et des médias d’extrême droite contre le système judiciaire américain et, finalement, contre les institutions démocratiques laisseront des traces, quoi qu’il arrive. Un défi majeur pour l’ensemble des démocraties, pas seulement les Etats-Unis.