« Après l’attaque de Trump, l’occasion est historique, pour le Parti républicain, de choisir la démocratie »

Tribune dans "Le Monde", publiée le 15.07.24

Dans une tribune au « Monde », Marie-Cécile Naves décrypte la polarisation politique extrême dans laquelle sont plongés les Etats-Unis, et revient sur le choix qui se pose désormais au Parti républicain : l’apaisement ou l’aggravation des divisions. Publiée le 15 juillet 2024. 

Depuis l’attentat qui tua Abraham Lincoln en 1865, les assassinats et tentatives d’assassinat de présidents américains ont façonné un traumatisme collectif dans le pays, qui traverse les générations. Avant le 13 juillet, le dernier épisode en date, c’était en 1981 : Ronald Reagan avait failli y perdre la vie. Cette épreuve avait eu pour effet, pendant un temps, d’humaniser sa fonction et d’unir le pays.

Il est trop tôt pour tirer des conclusions sur les « motivations » de Thomas Matthew Crooks, qui a blessé d’une balle l’ancien président et candidat Donald Trump. La prudence est de mise. On se souvient que John Hinckley, qui avait tiré sur Reagan, avait « expliqué » son geste par le désir d’impressionner l’actrice Jodie Foster.

Dans tous les cas, les Etats-Unis ne pourront pas éviter un nouveau débat sur la circulation des armes à feu. La violence perpétrée par ces dernières a été récemment déclarée « crise de santé publique » par les autorités. Sur l’agenda démocrate, le sujet figure en bonne place, notamment par le biais de la limitation des fusils semi-automatiques, comme celui utilisé par Crooks et dans la plupart des tueries de masse ces dernières années, de Parkland à Uvalde.

Désinformation virale

Et le Parti républicain, qui refusait, jusqu’à ce que Trump en soit victime, de reconnaître une dimension politique à l’usage d’armes à feu dans l’espace public, devra s’interroger sur son opposition systématique à leur régulation. La convention du parti, qui s’est ouverte le 15 juillet à Milwaukee (Wisconsin), en fournit la première occasion.

Ce qui sera également déterminant, à court terme pour l’élection du 5 novembre, et à long terme pour la démocratie américaine, c’est l’issue que trouvera la bataille de récits consécutive à l’événement terrible du 13 juillet. Côté démocrate, de Barack Obama à Nancy Pelosi en passant par Joe Biden lui-même, on rappelle qu’il n’y a pas de place pour la violence en politique. Côté républicain, l’appel au calme est bien moins unanime. Par exemple, pour James David Vance, sénateur de l’Ohio et choisi par Trump comme vice-président en cas de victoire, c’est la « rhétorique » de Biden qui « a conduit directement à la tentative d’assassinat du président Trump ». De son côté, l’ancien président trouve du grain à moudre pour sa rhétorique du leader qui se relève de toutes les attaques.

Depuis samedi 13 juillet, on assiste à un déluge de propos et d’images complotistes sur les réseaux sociaux, accusant un « Etat profond », le « gouvernement », le FBI, la CIA, la gauche radicale d’empêcher Trump par tous les moyens de revenir aux affaires. Les théories du complot ne sont pas nouvelles en pareille situation. En témoignent celles qui fleurissent depuis l’assassinat de John F. Kennedy, en 1963. Mais la désinformation est désormais virale. Pas besoin d’être abonné à des comptes conspirationnistes, les « suggestions » (le « Pour vous » sur X, par exemple) poussées par les algorithmes s’imposent aux internautes. Certains posts ou « stories » sont vus des millions de fois en l’espace de quelques heures.

L’adversaire devenu l’ennemi

L’attaque qui vient de cibler Donald Trump prend place dans un contexte de polarisation politique qui n’existait pas dans les années 1980 et qui peut conduire au pire. La tentative d’insurrection du 6 janvier 2021 au Capitole (où retentissaient les cris de « Pendez Mike Pence ! » et « Où est Nancy [Pelosi] ? »), l’agression au marteau du mari de la même Nancy Pelosi à son domicile en 2022, les tirs visant l’équipe de base-ball républicaine du Congrès qui firent plusieurs blessés en 2017, ou encore la grave blessure par balle dont fut victime la représentante démocrate Gabrielle Giffords, en 2011, sont d’autres exemples récents.

L’adversaire est désormais l’ennemi. Le nombre d’Américains disant que la violence politique peut se justifier a augmenté. Cette évolution, que l’on doit à la frange extrême du Parti républicain, ne date pas de Trump mais a été amplifiée, assumée et théâtralisée par lui. Dès lors, si la condamnation de la violence commise à son encontre est – heureusement – unanime, l’affrontement hyperpartisan, lui, ne devrait pas faiblir. Trump a lui-même appelé au combat (« Fight ! Fight !  »), dans un geste de défiance et une attitude viriliste qu’il affectionne, le poing levé, alors qu’il était évacué par les officiers de sécurité.

Depuis le 13 juillet, et contrairement à 1981, la politique n’a pas été mise de côté. Point de trêve en vue. Au contraire, l’Amérique est saturée de politique. Mais l’occasion est historique, pour le Parti républicain, de choisir la démocratie. Appeler à l’unité ne suffira pas : il faudra le prouver. En donnant un sens constructif à « Make America great again », le slogan que Trump a emprunté à Reagan.