Le 12 septembre, j’étais invitée dans l’émission « Cultures Monde », sur France Culture, présentée par Julie Gacon. Le sujet était le droit à l’avortement aux Etats-Unis, avec l’exemple de l’Ohio.
En novembre 2023, les habitants de l’Ohio, un État pourtant républicain, ont voté pour l’inscription du droit à l’avortement dans leur constitution. Que nous apprend le cas de l’Ohio sur la façon dont les luttes pro et anti-IVG ont évolué aux États-Unis ?
- Marie-Cécile Naves Politologue, spécialiste des Etats-Unis. Directrice de recherche à l’IRIS (Institut des Relations Internationales et Stratégiques) où elle dirige l’Observatoire Genre et Géopolitique.
- Anne Légier Maîtresse de conférences en études américaines à l’Université Paris Cité (laboratoire ICT), spécialiste de l’histoire de l’avortement, des femmes et du genre aux États-Unis.
- Christen Bryson Maîtresse de conférence en études américaines à la Sorbonne nouvelle, spécialiste de la famille et des questions de genre aux Etats-Unis.
Depuis l’arrêt Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization, par lequel la Cour suprême des États-Unis a supprimé le droit constitutionnel à l’avortement, les batailles autour des “droits reproductifs” ont trouvé un souffle nouveau, donnant parfois lieu à des scénarios inattendus. C’est notamment le cas de l’Ohio, un État majoritairement républicain, dans lequel le colistier de Donald Trump, J.D. Vance, a été élu sénateur en 2022, mais où les citoyens ont voté pour l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution de l’État. Après plusieurs mois de mobilisation des militants pro et anti-avortement, le “oui” l’a en effet emporté avec 55% des voix dans ce petit État du Midwest américain. Une situation paradoxale, qui replace au cœur du débat la question de l’opinion publique républicaine, dont une partie n’adhère pas aux diatribes anti-IVG de la droite religieuse. Si ce référendum a donné raison aux militants pro-avortement dans l’Ohio, ce droit a été révoqué dans de nombreux autres États comme le Texas, le Mississipi et la Louisiane ; et certaines législations ne prévoient aucune entorse à la règle en cas de viols ou d’inceste. La décision de la Cour Suprême a en effet galvanisé certains groupes de militants anti-IVG et ouvert la voie à une remise en cause d’autres droits reproductifs, tels que la contraception féminine et le droit à la prescription de la pilule abortive.
Comment expliquer l’inscription du droit à l’avortement dans la constitution de l’Ohio, un État pourtant majoritairement républicain ? Quelles reconfigurations ont connu les réseaux militants pro-IVG de cet État, après que la Cour Suprême ait rendu sa décision en juin 2022 ? Que dit le cas de l’Ohio du renouvellement plus général des mobilisations pro et anti-IVG aux États-Unis ? Comment les candidats à la présidentielle se saisissent-ils de cette question et composent avec les contradictions internes à l’électorat républicain ?
Focus : Wisconsin, la zone grise du droit à l’avortement
Avec Anne Légier, professeure associée d’études américaines à l’Université Paris Cité (laboratoire ICT), spécialiste de l’histoire de l’avortement, des femmes et du genre aux États-Unis.
Pour justifier l’annulation de l’arrêt fédéral “Roe vs Wade” garantissant le droit constitutionnel fédéral à l’avortement, l’auteur de l’avis “Dobbs”, Samuel Alito, a dit vouloir mettre fin aux confusions liées à ce droit, en le délégant aux citoyens et à leurs élus. Pourtant, la situation semble encore plus floue qu’avant dans certains États, comme le Wisconsin, où la pluralité des références juridiques et des souverainetés étatiques se posait déjà avec beaucoup d’acuité avec la décision de la Cour. Dans ce cas particulier, l’annulation du droit à l’avortement à conduit à un véritable chaos juridique et à une incertitude de près d’un an et demi autour de ce que le personnel médical avait le droit de faire, ou non. Au cœur de ce flou juridique, une loi “zombie” ou “dormante”, datant du XIXème siècle, et devenue de nouveau effective après la déconstitutionnalisation du droit au niveau fédéral…
Références sonores :
– Lauren Blauvelt, directrice du planning familial de l’Ohio annonce le résultat du référendum approuvant l’inscription du droit à l’avortement dans la constitution de l’État AP archive, le 8 novembre 2023
– Mike DeWine, Gouverneur républicain de l’Ohio, le 7 novembre 2023, Politico
– Kamala Harris rappelle que beaucoup d’États ont inscrit le droit à l’avortement dans leur Constitution, avec des majorités écrasantes, lundi 22 janvier 2024, lors d’une tournée nationale consacrée à la défense de l’accès à l’IVG dans le Wisconsin Le Figaro
– Dr. Marcela Azevedo, co-fondatrice de l’association “Ohio Physicians for Reproductive Rights” (Médecins de l’Ohio pour les droits reproductifs) MSNBC – juillet 2023
– Kate Cox est une femme texane qui n’a pas pu se faire avorter dans son État alors que sa grossesse mettait sa vie en péril. Elle est devenue une figure du mouvement pro-IVG. Discours à la convention des démocrates CBS News, le 21 août 2024
– Dans le Colorado, à Fort Collins, un groupe d’évangélistes se rend toutes les semaines devant le Planning familial pour tenter de convaincre les femmes de ne pas se faire avorter. Documentaire de Cyril Denvers, 2024, “Avortement aux Etats-Unis : la grande fracture”, France TV .
– Extrait du débat Trump – Harris
– Chanson : The Pretenders – ‘My City Was Gone (1982)