Trump II : la gifle contre #MeToo

Chronique dans "Le Nouvel Obs", le 25.11.24

Pour son prochain gouvernement, le futur président américain s’entoure d’hommes blancs qui se pensent tout-puissants et qui institutionnalisent la misogynie. Ces nominations et le programme traduisent un projet de prédation assumé. Ma chronique sur Trump II. publiée dans « Le Nouvel Obs », le 25 novembre 2024.

Le retrait de Matt Gaetz, un temps pressenti pour devenir ministre de la Justice, n’y change rien : les choix de Donald Trump pour son gouvernement, sans parler de son programme traduisent, entre autres, un désir de vengeance contre #MeToo. Ce mouvement féministe, issu de l’affaire Weinstein, des Women’s Marches [la marche des femmes, un rassemblement politique le 21 janvier 2017 à Washington], et de nombreuses influences mondiales, a pris corps aux Etats-Unis durant la première année du premier mandat de Trump. Et ce n’est nullement un hasard. Le 47e président sait pertinemment que la première force d’opposition à sa politique et à sa personne ont été, sont et seront les féministes. Voilà pourquoi il entend les combattre.

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas seulement de revenir sur les acquis du féminisme. Il s’agit, pour une « broligarchie » [terme construit sur une allusion à la culture bro, qui mêle camaraderie et compétition et exclut les femmes, NDLR] d’hommes blancs qui se pensent tout-puissants et sans aucun compte à rendre, ni dans leur vie ni dans leur business, d’institutionnaliser la misogynie, en commençant par le verbe. A l’image de Nick Fuentes, célèbre suprémaciste blanc, antisémite, opposé au droit de vote des femmes, qui a réalisé une vidéo au lendemain du 5 novembre (« Your body, my choice. Forever ») où, tel un diable ricanant, il jubile de cette promesse de guerre faite aux femmes. Dans la même veine, un ancien membre de la campagne de Trump et conseiller du Project 2025, John McEntee, s’est filmé en train de dire : « Vous n’avez pas compris quand on défendait le mail-only voting. On voulait diremâle,” m-a-l-e. »

En outre, plusieurs membres possibles du gouvernement Trump II ont un passé trouble en matière de violences sexuelles, à croire que c’est un critère de recrutement par un président lui-même condamné au civil et accusé par une trentaine de femmes de viol ou d’agression sexuelle. La nomination de Brett Kavanaugh à la Cour suprême, en 2018, était donc un coup d’essai. Matt Gaetz, pressenti pour la Justice puis écarté, avait fait couler beaucoup d’encre dans la presse. Cet élu de Floride à la Chambre des Représentants (où il ne souhaite pas retourner), faisait l’objet d’une enquête judiciaire et parlementaire pour détournement de mineure, trafic sexuel et usage de drogues. Dans son florilège de déclarations figure celle-ci : « les femmes qui prennent une contraception sont trop laides pour tomber enceintes ».

Exit Gaetz, donc. Restent, au moins, les possibles futurs ministres de la Défense, de la Santé et de l’Education. Pete Hegseth est le choix de Trump pour le Pentagone. Ce présentateur de Fox News, tout en maintenant que la relation était consentie, a fait signer un accord de confidentialité à une femme qui l’accusait d’un viol commis en 2017. Il estime par ailleurs que les soldates ne sont pas aptes à occuper des postes de combat de premier plan. Linda McMahon est, elle, bien partie pour être ministre de l’Education. Cofondatrice de la World Wrestling Entertainment, une entreprise spécialisée dans l’organisation de combats de catch, elle a fait l’objet d’une enquête pour complicité de trafic et d’abus sexuels dont les victimes étaient de jeunes hommes recrutés pour les combats, les « ring boys ». Elle aussi nie les faits. Robert F. Kennedy Jr., quant à lui, dit « ne pas se souvenir » d’avoir à plusieurs reprises commis des attouchements sur la baby-sitter de ses enfants, qui l’accusait de tels faits dans les années 1990.

Un projet de prédation assumé

Outre les nominations, le programme du prochain président traduit un projet de prédation assumé. La prédation sur la nature, tout d’abord, avec le probable abandon d’un maximum de politiques environnementales, voire la disparition des agences en charge de la préservation du climat, de la biodiversité et des animaux, et la relance des industries fossiles. La prédation sur la science, ensuite, avec le dé-financement à prévoir de nombreux programmes de recherche, y compris en santé, la poursuite des attaques contre les sciences humaines et sociales et la promotion du révisionnisme (sur l’histoire de l’esclavage, par exemple). S’y ajouteront des retours en arrière sur les droits des femmes (santé, emploi) et des minorités (expulsions massives, annulation des politiques de lutte contre les discriminations, etc.).

Ce sont aussi les adversaires ou les critiques, qualifiés d’« ennemis », qui sont ciblés, voire dont le nom est couché sur des « listes ». Hommes et femmes de loi ou de la politique, journalistes, autrices et auteurs, chercheuses et chercheurs sont promis à une chasse aux sorcières de grande ampleur, aidés par les outils de surveillance et de harcèlement des réseaux sociaux. Trump vise à faire peur et à réduire au silence des voix politiques dissonantes, tout en vantant le free speech. D’ores et déjà, le président élu, faisant fi de la séparation des pouvoirs, menace les sénateurs républicains s’ils ne soutiennent pas ses nominations, et entend se servir du ministère de la Justice pour régler ses comptes avec le procureur Jack Smith (qui enquête sur les malversations de Trump pendant son premier mandat), valider l’existence de fraudes (inexistantes) dans l’élection présidentielle de 2020 et gracier les insurgés du 6 janvier. La brutalité comme mode de gouvernance.

2017 était l’année de la mobilisation féministe anti-Trump, à l’écho mondial. Attendons de voir 2025.