« L’Heure américaine » (semaine du 6 janvier 2025)

Invitée de 'L'Heure américaine" sur France Info TV

J’étais invitée sur le plateau de « L’heure américaine », un rendez-vous quotidien de France Info TV, les 7 et 9 janvier 2025. Une émission d’Alban Mikoczy, présentée par Julien Benedetto.

Nous avons parlé de l’actualité américaine du moment : les feux en Californie, les funérailles de Jimmy Carter, Elon Musk, Donald Trump et ses propos sur le Groenland, le canal de Panama et le Canada.

 

Le 3 janvier, je publiais dans « Le Monde » la tribune ci-dessous : 

« Sur l’immigration, le récit de Donald Trump évolue au gré des rapports de force dans son camp ».

La promesse du président élu des Etats-Unis de réduire massivement l’immigration se heurte aux dissenssions sur la main d’œuvre étrangère dans la tech parmi ses soutiens et à la réalité économique.

Durant toute sa campagne, Donald Trump s’est engagé à réduire de manière drastique l’immigration non seulement illégale, mais aussi légale. Son souhait de confier cette tâche à l’ancien policier Tom Homan – l’artisan de la séparation de plus de 4 000 enfants de leurs parents immigrés entre 2017 et 2021 – allait dans ce sens.

Le récit trumpien se décline en trois points : la lutte contre la délinquance (le migrant étant automatiquement associé au criminel) ; la préservation d’une identité (blanche) américaine mythifiée ; et, précisément, l’efficacité économique. Ces trois objectifs sont liés entre eux, le travailleur immigré étant présumé prendre le travail du « vrai » Américain.

Dans les faits, la perspective d’une expulsion des quelque 11 millions de clandestins, mais aussi de leurs enfants, même si ces derniers sont en situation régulière, s’avère, au-delà des problèmes éthiques et pratiques qu’elle pose, une aberration économique.

En 2022, on comptait 30 millions d’immigrés dans la main-d’œuvre du pays (soit 18 %), dont 8 millions de travailleurs illégaux indispensables à de nombreux secteurs économiques. Les sans-papiers représentent ainsi jusqu’à un tiers des employés dans l’agriculture, le BTP, les loisirs, la restauration, les services à domicile ou à la personne, en particulier parce qu’ils sont les seuls à accepter certains emplois peu qualifiés.

Cependant, nombre d’entre eux sont très demandés en raison de leur niveau de qualification : aux Etats-Unis, un tiers des immigrés possèdent un diplôme de l’enseignement supérieur (soit la même proportion que les citoyens américains), ce qui les conduit à occuper des emplois à haute valeur ajoutée : banque, nouvelles technologies, recherche fondamentale et appliquée, etc.

Une étude du National Bureau of Economic Research, un centre de recherche indépendant, a montré qu’entre 1990 et 2015 les immigrés ont concentré 16 % des inventions et 23 % des innovations. Ils créent, en outre, plus souvent leur entreprise, et donc des emplois, dont bénéficient également les Américains : les deux tiers des principales entreprises en intelligence artificielle ont été fondées par des immigrés, dont une part importante était au départ sans papiers.

Opportunités d’emploi perdues

Avec des expulsions massives, le marché du travail, malgré sa grande fluidité, ne se redéploiera pas de lui-même par un effet de vases communicants. La compétitivité de nombreuses entreprises, petites ou grandes, s’en trouvera affectée, sur le plan national ou à l’échelle internationale : non seulement elles devront augmenter les salaires pour embaucher des Américains ou des immigrés légaux, ce qui aura un effet inflationniste, mais c’est toute une chaîne de production et de distribution qui en pâtira (sous-traitants, etc.). Autrement dit, des opportunités d’emploi seront perdues pour tout le monde.

Par ailleurs, les économistes et la Banque mondiale s’accordent à dire que la richesse créée par les immigrés, clandestins compris, est considérable : jusqu’à 8 % du PIB des Etats-Unis. Et, même avec un pouvoir d’achat plus faible que la moyenne, les sans-papiers restent des consommateurs, et paient des impôts locaux et fédéraux.

Enfin, expulser des millions d’immigrés demandera des moyens policiers et judiciaires démesurés : l’American Immigration Council estime qu’arrêter, juger et expulser, chaque année, un million d’immigrés coûterait près de 90 milliards de dollars (87,5 millions d’euros) à l’économie américaine. Il est donc certain que le discours trumpien s’adaptera, quelles que soient les décisions prises, et quels que soient les faits. Le récit du président élu évolue déjà au gré des rapports de force dans son camp.

Pour l’heure, Donald Trump semble soutenir les « tech bros » de la Silicon Valley, symbolisée par Elon Musk, qui demandent le maintien et l’extension d’un système de visa, le H1B, pour leurs futurs ingénieurs et techniciens, contre l’extrême droite identitaire jusqu’au-boutiste, emmenée notamment par l’idéologue Steve Bannon. A contre-courant de ce que Trump affirme depuis des années.