Après l’explosion du Cybertruck à Las Vegas, le multimilliardaire, appelé à occuper un poste important dans la future administration Trump, a envoyé une équipe de Tesla pour aider les enquêteurs à accéder aux éléments collectés par le véhicule. Le grand public a découvert à cette occasion les techniques utilisées par l’entreprise pour capter des données sur leur vie personnelle. Chronique du 8 janvier 2025 dans « Le Nouvel Obs ».
Le 1er janvier, un Cybertruck, autrement dit un véhicule de la marque Tesla, l’une des entreprises d’Elon Musk, explosait devant l’entrée du Trump Hotel de Las Vegas (Nevada). Son conducteur est mort et sept personnes ont été blessées. L’image est désastreuse pour le multimilliardaire, par ailleurs grand soutien de Donald Trump et appelé à occuper un poste important auprès de la nouvelle administration américaine qui prendra ses fonctions à partir du 20 janvier.
Or, dans la nuit du Nouvel An, soit quelques heures avant cette explosion, un attentat à la voiture-bélier, mené au nom de l’organisation Etat islamique, a fait quatorze morts et une trentaine de blessés à La Nouvelle-Orléans (Louisiane). Il est compréhensible que le FBI, les polices locales et les médias recherchent d’éventuels liens entre ces deux drames. Et, du reste, on leur connaît d’ores et déjà des points communs : l’armée américaine – l’un était en permission et l’autre un vétéran – et la plateforme Turo, parfois qualifiée d’« Airbnb des voitures », où ils avaient tous les deux loué leur véhicule.
Une rumeur, propagée sur Internet, prétendait que l’explosion à Las Vegas avait été provoquée par une batterie au lithium, et que ce n’était pas la première fois dans un Cybertruck. Inquiet pour la réputation de Tesla, Elon Musk s’est immédiatement lancé dans une bataille de communication afin de défendre sa marque. Sur son réseau social X (ex-Twitter), il a insisté pour dire que non seulement le véhicule n’était pas à l’origine de l’incendie, mais que c’est précisément sa composition et sa conception qui auraient permis de limiter les dégâts – une affirmation soutenue par shérif de Las Vegas, Kevin McMahill. Puis, rebondissant sur la (probable fausse) piste de l’attentat, Musk s’en est pris au conducteur et à ses complices présumés, en affirmant : « Les méchants crétins ont choisi le mauvais véhicule pour une attaque terroriste. »
Selon les autorités, Matthew Livelsberger, le conducteur du Cybertruck, s’est suicidé par arme à feu juste après avoir déclenché l’explosion dans l’habitacle via des bidons d’essence et des mortiers de feux d’artifice qu’il avait stockés à l’arrière. Il n’avait pas d’intention terroriste et aurait, d’après les enquêteurs, rédigé deux lettres où il déplorait que les Etats-Unis soient en proie à « des problèmes nationaux, des problèmes sociétaux » et où il faisait état de « défis personnels » et de traumatismes de guerre. Il y invoque des traumatismes subis au cours de sa carrière militaire : « J’avais besoin de débarrasser mon esprit des frères que j’ai perdus et de me soulager du fardeau des vies que j’ai prises », ajoutant que son geste était « un signal d’alarme » parce que « les Américains ne prêtent attention qu’aux spectacles et à la violence ».
« Des panoptiques sur roues »
Si le souci d’Elon Musk de défendre les intérêts de Tesla est logique, son soudain souhait de vérité et de transparence interpelle, étant donné qu’il a été l’un des principaux relais de désinformation politique lors, notamment, de la dernière campagne présidentielle. Ce qui pose également question, c’est sa rapidité à partager des informations collectées par le Cybertruck. Musk a en effet envoyé une équipe de Tesla à Las Vegas pour aider les enquêteurs à accéder aux éléments collectés par le véhicule sur Matthew Livelsberger. Tesla étant propriétaire de ces données, la police a besoin de son concours pour les interpréter. L’entreprise le ferait-elle pour n’importe quel accident ? Jusqu’à quel point la loi l’y contraint-elle ?
L’explosion de Las Vegas a révélé au grand public (et peut-être à la police elle-même) l’importance des données personnelles recueillies et stockées par Tesla, par le biais des nombreuses caméras et des technologies de traçage des trajets effectués dont les voitures sont équipées. « Ce sont des panoptiques sur roues », dit Albert Fox Cahn, le fondateur de Surveillance Technology Oversight Project, un organisme de plaidoyer pour les libertés individuelles face aux nouvelles technologies, à propos des voitures Tesla. Les engagements politiques des conducteurs et de leurs passagers, leur éventuelle participation à des manifestations, mais aussi leurs rendez-vous médicaux (traitement d’une maladie grave, avortement, etc.) peuvent ainsi être tracés.
Que fait Tesla de ces informations ? A qui est-elle susceptible de les communiquer, voire de les vendre ? Chantres auto-institués de la liberté individuelle, les entreprises de Musk utilisent de manière systématique des techniques extrêmement sophistiquées pour surveiller leurs clients et leurs proches, qui, à leur insu, fournissent une multitude de renseignements sur leur vie privée. La régulation en matière de protection des données personnelles est encore faible et sujette à de nombreuses zones grises. Or le multimilliardaire, dont les sociétés bénéficient de contrats fédéraux, va, à partir du 20 janvier, prendre un haut poste dans l’administration Trump pour déréguler l’économie américaine. Fera-t-il évoluer les textes sur le sujet afin de favoriser son propre business ?
Hasard du calendrier, l’édition 2025 du Consumer Electronics Show, qui rassemble les professionnels de l’industrie technologique mondiale, se tient jusqu’au 11 janvier à Las Vegas. Les dirigeants du secteur automobile pourront enchaîner avec le Salon de la Voiture à Detroit (Michigan), le North American International Auto Show. Ces questions ne manqueront pas de s’immiscer dans les débats.