INTERVIEW pour LExpress.fr sur Donald Trump et le pouvoir

republican-u-s-presidential-nominee-trump-is-greeted-by-relatives-after-the-conclusion-of-the-third-and-final-debate-with-democratic-u-s-presidential-nominee-clinton-in-las-vegas_5729561Interview réalisée par Catherine Gouëset, le 20 octobre 2016.

Élections américaines: et si Trump ne voulait pas vraiment gagner?

Le candidat Trump multiplie les ratés, en particulier à l’occasion du troisième débat télévisé où ce champion des shows télévisés a fait pâle figure face à Hillary Clinton. De quoi rallumer les soupçons.

La campagne de Trump n’aurait-elle été qu’une vaste blague? Sondeurs et médias américains conviennent que Hillary Clinton l’a facilement emporté sur le milliardaire mercredi soir à Las Vegas lors du troisième débat entre les deux candidats à la Maison Blanche. Au point de soulever une nouvelle fois la question apparue de manière récurrente au cours de la campagne: Donald Trump a-t-il vraiment envie de gagner cette élection?   

L’interrogation a été émise y compris dans les rangs républicains: Trump « s’est effondré psychologiquement. Consciemment et inconsciemment, il est à la recherche d’une sortie », postulait en août dernier un cadre du GOP interrogé par le Huffington Post. « Quand on examine son attitude dans chacun des aspects de cette campagne, on peut légitimement se demander s’il essaie de perdre à dessein; parce que sinon, la seule autre explication, c’est l’arrogance et l’incompétence », martelait un autre vétéran du parti.  

Faible implication dans les Etats-clés

Parmi les arguments avancés pour justifier l’hypothèse du désir de perdre de Trump, les médias américains mettent en avant son manque de préparation aux débats et sa faible implication dans les Etats-clés. Il a fait campagne dans des Etats où il avait peu de chance d’engranger des gains ou dans ceux où il était déjà ultra-favori. Et a tardé à ouvrir des bureaux dans des Etats décisifs, pendant qu’en face, le camp Clinton déployait de très gros moyens dans ces battleground states. 

« S’il voulait vraiment l’emporter, il aurait dû s’en tenir aux fondamentaux de toute élection présidentielle: la carte électorale », explique à L’Express Soufiane Alsabbagh. Pour l’emporter, un candidat doit miser sur les Etats qui lui permettent de gagner 270 grands électeurs. Trump s’est bien efforcé de gagner des Etats bleus (démocrates) du Nord, mais il a trop compté sur la base étroite des hommes blancs et pas assez tenu compte de l’évolution du pays: avec 63% des voix des hommes blancs, Ronald Reagan a largement gagné la présidentielle de 1980, rappelle Politico. 62% de cet électorat a donné une victoire serrée à George Bush en 2004, mais le même score a vu Mitt Romney perdre en 2012. L’explication? Outre la croissance du vote féminin (de 49% à 53% en 30 ans), la part des hommes blancs dans l’électorat est passée de 45% à 35%. « Or, Trump n’a cessé d’insulter les Hispaniques et les femmes », rappelle Soufian Alsabbagh. 

Refus de se recentrer après les primaires et absence de pub

Bizarrerie de la stratégie du candidat, son refus de recentrer son discours après la fin des primaires. Le système américain favorise en effet la polarisation des candidats, mais traditionnellement, après avoir éliminé les rivaux de son propre parti, le nominé assouplit son discours afin d’élargir sa base électorale. On a pu croire un moment que ses conseillers l’avaient convaincu d’adopter une rhétorique plus apaisée. Pourtant très vite, les provocations ont repris.  

Autre motif de doute, pour le site politique The Hill, les très faibles dépenses en publicité du magnat de l’immobilier. « Au cours de la primaire, il a beaucoup misé sur les réseaux sociaux et la publicité négative que lui procuraient ses provocations, nuance Marie-Cécile Naves*. Il a sans doute cru qu’il pourrait continuer sur sa lancée. » 

« Je crois qu’il avait vraiment envie de gagner, conjecture la chercheuse. S’il avait vraiment voulu perdre, il n’aurait pas participé à tous les débats. Et il aurait utilisé l’argument de la fraude beaucoup plus tôt pour jeter l’éponge. Mais il est beaucoup moins probable qu’il avait envie de gouverner. » 

Le maître de l’autopromotion 

S’il n’avait pas l’intention de diriger l’exécutif américain, pourquoi alors Trump se serait-il lancé dans la course? Le cinéaste Michael Moore, amusé, imagine que l’animateur de The Apprentice a voulu faire monter les enchères auprès de la chaîne NBC où est diffusé son show. L’objectif était d’augmenter sa notoriété, avance, tout aussi enjoué le chroniqueur Dave Pell: Trump « est le maître de l’autopromotion à l’ère de l’autopromotion (…) Il a trouvé le moyen de mettre son nom sur des bâtiments qui ne lui appartiennent pas entièrement. Il est le plus célèbre homme riche à n’être même pas riche. L’an dernier, il est devenu l’homme dont on a le plus parlé dans le monde. » 

Le dilettante en politique ne croyait sans doute pas arriver si loin dans la campagne, imaginent les partisans de la théorie du « Trump loser« . Son succès l’a dépassé, il s’est en partie pris au jeu et en partie laissé entraîner dans l’engrenage, non sans multiplier les dérapages pour éviter d’aller trop loin.  

Le futur Citizen Kane de l’alt-right ?

Désormais, sa notoriété est décuplée et plutôt que de se contenter d’un show hebdomadaire, le magnat envisagerait de monter sa propre chaîne de télévision. Le Financial Times a révélé cette semaine que Jared Kushner, le gendre de Trump, était en pourparlers avec des responsables de médias pour monter une chaîne de télévision afin de diffuser ses idées. « Une hypothèse tout à fait plausible dans le paysage télévisuel américain actuel, où la tendance est à la polarisation politique, observe Soufian Alsabbagh. Le succès de Fox News à droite et de MSNBC à gauche, tandis que la centriste CNN, elle, perd de l’audience l’attestent. Nul doute qu’une Trump TV se situerait à la droite de Fox News. »  

Le milliardaire s’est d’ailleurs rapproché, pendant la campagne, de Roger Ailes, ex PDG de Fox News et a engagé, pour diriger sa campagne, Steve Bannon, le patron du site ultra-conservateur Breitbart. « L’aura médiatique acquise au cours de cette campagne serait bénéfique pour un tel projet », ajoute Marie-Cécile Naves. Trump pourrait-il, prédit The Hill, devenir le Citizen Kane de l’alt-right, l’extrême droite américaine 2.0? 

(Crédit photo : Reuters/Joe Raedle)