« Baby-loup », le voile et la mission de service public

L’affaire de la désormais célèbre crèche de Chanteloup-les-Vignes, dans les Yvelines, illustre de manière intéressante le défi posé, aujourd’hui, par les revendications religieuses dans le monde du travail et le flou règlementaire relatif qui, en la matière, entoure ce dernier. 

En 2008, une employée de l’établissement, devenue sa sous-directrice, était licenciée parce qu’elle refusait d’ôter son hijab, comme le lui demandait le règlement intérieur. Elle a porté plainte auprès du Conseil des Prud’hommes, dont la décision devrait être rendue d’ici quelques semaines. Dans un premier temps, la HALDE avait soutenu l’employée, ce qui lui avait valu de vives critiques, mais Jeannette Bougrab, sa nouvelle présidente, a récemment fait volte-face : « Comment une crèche qui bénéficie de fonds publics et s’insère dans une politique publique peut-elle être purement privée ? ‘Baby Loup’ assure une mission de service public (…) », a-t-elle ainsi déclaré (Libération du 9 octobre).

Toutefois, les choses semblent plus compliquées : plus qu’un simple conflit d’opinion ou d’interprétation de la laïcité, on est bel et bien confronté à un imbroglio juridique. 

De fait, s’il est incontestable que les agents – qu’ils soient ou non titulaires – de la fonction publique ne doivent pas porter de signes religieux ostensibles sur leur lieu de travail, il n’en va pas de même dans les entreprises privées. Il est en effet impossible à ces dernières d’interdire les vêtements religieux en tant que tels : elles doivent justifier leur éventuel refus par des motivations objectives et proportionnées de type sanitaire, sécuritaire ou encore organisationnel – nature des tâches exercées, etc. Sinon, la loi considère que c’est une discrimination.

Inversement, les employés ne peuvent invoquer leur religion pour demander des jours de congé ou des interruptions de leur travail durant leurs horaires de présence – par exemple pour prier. Cela, en principe, se négocie au cas par cas avec la hiérarchie.

Or, « Baby-loup » est-elle un organisme privé – en l’occurrence, une association – comme les autres ? Peut-elle, en conséquence, se référer au seul principe de neutralité de croyance pour bannir, dans son règlement intérieur, le port du voile et de tout autre signe religieux visible ? C’est aux Prud’hommes du 78 que revient, indirectement, la lourde responsabilité de trancher. Il serait donc temps que les textes – législatifs et autres – soient plus clairs en ce domaine. Car qui bénéficie traditionnellement le plus des incertitudes règlementaires, sinon les extrémistes ? 

La crèche « Baby-loup », ouverte 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, permet aux parents, et en particulier aux mères, souvent d’origine modeste, une plus grande souplesse professionnelle. Si elle perd son procès et doit verser des indemnités pour licenciement abusif, elle risque fort de devoir fermer ses portes. 

Au final, et plus largement, ce qui est ici une fois de plus en jeu, c’est la concurrence grandissante entre la liberté religieuse et le droit des femmes. Un comble, en démocratie ?