Des étudiants juifs, de la nuit et de la société secrète…

L’info ou l’intox de ces derniers jours sur le (prétendu) concours « spécial juifs » de certaines écoles d’ingénieurs, révélée par Mediapart, a ceci d’intéressant qu’elle occasionne une narration dont les composantes sont connues depuis longtemps (disons le XIXe siècle, voire le Moyen Âge).

Le calendrier 2010-2011 de la fonction publique aurait « oublié » de prendre en compte – comme c’est l’habitude et ce, pour l’ensemble des principales religions de France – Pessah (la Pâque juive). Que le gouvernement ou l’Élysée aient ou pas demandé aux organisateurs des concours de Mines-Ponts, Centrale et Supélec de pallier cet oubli en aménageant des jours ou des heures pour les étudiants juifs de maths spé est une chose. Mais le plus intéressant, c’est la couverture médiatique de l’événement (ou du non événement).  Dans la presse, en effet, on ne parle pas de « sessions spéciales » de concours, mais de « sessions secrètes », se déroulant « la nuit ». On apprend aussi que le rabbin Haïm Korsia, « proche de Nicolas Sarkozy », aurait « utilisé son entregent pour faire avancer sa cause ». Il y aurait donc aussi complot. Quant à l’organisateur du concours Centrale-Supélec, il a pour sa part déclaré : « à aucun moment il n’a été prévu de composer de nuit. Je ne sais pas d’où sort une telle rumeur ». Ça ne vous rappelle rien ?

Continuons : il ne s’agit pas d’un examen anodin (comme le bac ou le BEP), mais de l’accès à certaines des plus prestigieuses écoles d’ingénieurs françaises, autrement dit à la future élite de la nation. Où, selon certains, les juifs seraient bien entendu largement plus nombreux que les musulmans (voire les chrétiens et les autres). En termes d’agenda médiatique, il n’est ainsi pas sans importance de noter qu’il y a quelques jours à peine, la presse faisait part de l’échec de l’intégralité des étudiants de la « prépa diversité » de l’ENA au concours d’accès à cette dernière. Or, comme chacun sait, qui dit « prépa diversité » ne sous-entend pas « juifs », mais « jeunes d’origine arabo-musulmane ». Tout cela pour dire que c’est aussi, dans cette affaire de concours-secret-organisé-la nuit-pour-les-juifs-grâce-au-complot-de-leurs-chefs, la prétendue omni-présence des juifs à la tête du pays qui est implicitement posée et même questionnée.

Dans Naissance des « intellectuels ». 1880-1900, paru en 1990, l’historien Christophe Charle a très bien expliqué que l’Affaire Dreyfus avait été, au-delà des événements en soi, l’expression d’une lutte acharnée entre la bourgeoisie traditionnelle, tenante d’une reproduction des élites par cooptation, et les intellectuels défenseurs de la méritocratie via l’école républicaine, dont avait bénéficié Dreyfus, juif alsacien, mais aussi… polytechnicien.